Critique de La légende du saint buveur, de Joseph Roth, vu le 7 septembre 2022 au Théâtre du Lucernaire
Interprétation, adaptation et mise en scène de Christophe Malavoy
Ça fait un bout de temps que ce spectacle me fait de l’oeil. Créé au Festival OFF d’Avignon en 2019, il était prévu pour une tournée en 2020, malheureusement annulée par notre cher covid. Il a repris une partie de cette tournée l’année dernière, et est enfin revenu à Paris pour cette rentrée théâtrale 2022. Je ne connais ni l’histoire, ni l’auteur, ni l’interprète, mais j’en ai beaucoup entendu parler et j’en ai conclu que ce trio était la promesse d’une bonne soirée. Je ne m’étais pas trompée.
La légende du saint buveur, c’est celle d’Andréas, un sans-abri alcoolique à qui un inconnu offre de l’argent au début de l’histoire. Andreas n’a plus aucun bien matériel, il vit sous les ponts, mais cette misère ne lui enlève aucun cas son honneur, et il promet à l’inconnu qu’il remboursera sa dette. Nous suivrons alors ses différentes tentatives pour tenir sa promesse, et comment, alors qu’il semble incapable d’économiser l’argent qui lui reste, une étrange providence multipliera les occasions de se racheter en faisant pleuvoir sur son chemin des pluies de billets.
Je n’ai pas lu la nouvelle, mais le spectacle fait complètement honneur à cette légende évoquée dans le titre. Malavoy parvient à créer une réelle atmosphère, à nous emmener ailleurs, dans un ailleurs qui pourrait être le rêve d’Andréas. C’est un texte qui ne ressemble à rien d’autre, une histoire qui pourrait être un délire d’agonie autant qu’un conte fantastique. Christophe Malavoy parvient à proposer tout ça à la fois, grâce à une adaptation, une mise en scène et une interprétation d’une très grande finesse.
Ce spectacle est une petite merveille, plein de miracles au même titre que son histoire. Malavoy réussit à mettre le spectateur dans le même état que son personnage, Andreas. Il nous maintient dans une espèce de légèreté presque euphorique tout en y mêlant une mélancolie prégnante. Tout rappelle le tragique à cet homme qui pourtant reste joyeux et positif, et le spectateur a beau sentir la fatalité qui pèse sur l’histoire, il rit de ces situations extraordinaires qui s’enchaînent en faisant fi de tout réalisme.
Ces deux ambiances cohabitent parfaitement sur le plateau. Christophe Malavoy a fait de la place pour tous les moments, pour toutes les émotions. Il semble laisser des indices ça et là qui indiquent au spectateur de voir plus loin que l’histoire qu’il raconte. Les chansons et les morceaux de trompette qu’il interprète, avec la puissance d’incarnation d’un Reggiani, sont en totale harmonie avec la tonalité du spectacle. La construction et l’interprétation singulières de tout ce qui entoure Andréas sont pour moi de l’ordre d’un effet spécial théâtral, comme un flou intentionnel pour nous déstabiliser. Le tout est empaqueté dans une grande légèreté, de cette simplicité brillante qu’on ne rencontre que chez les plus Grands. Bravo.
C’est une émotion sur le fil. L’émotion de l’enfant qui écoute une histoire. L’émotion de l’adulte qui entend cette histoire.