Le Conseil national de la refondation (CNR) sous la houlette de François Bayrou

Publié le 01 septembre 2022 par Sylvainrakotoarison

" Je ne sais pas si ça va marcher ni même si ça peut marcher. Cela dépend de l'esprit civique des grandes forces d'opinion en France. " (François Bayrou, cité par "La Dépêche", le 5 septembre 2022).

Selon une information de "L'Opinion" le 1 er septembre 2022, le Président de la République Emmanuel Macron a décidé que François Bayrou, le maire de Pau, président du MoDem et par ailleurs Haut-commissaire au Plan, serait nommé secrétaire général du Conseil national de la refondation ( CNR), probablement à l'occasion du prochain conseil des ministres qui se tiendra ce mercredi 7 septembre 2022.
Lorsqu'il y a deux ans exactement, le 3 septembre 2020, François Bayrou avait été nommé Haut-commissaire au Plan, une fonction recréée pour donner à l'ancien Ministre de la Justice un peu d'envergure et de moyens (8 collaborateurs) afin de produire des études de prospective (François Bayrou lui-même assure cette fonction de manière bénévole), je l'avais comparé à Jean Monnet dont l'influence à un poste similaire a été immense puisqu'il a encouragé les six pays fondateurs de l'Europe à s'unir et à construire ce qui est devenu l'Union Européenne. Jean Monnet, à l'époque, avait refusé tout entrée dans la vie politique, trouvant qu'il aurait bien plus d'influence là où il était qu'être l'un de ces ministres éphémères de la Quatrième République dont on oublierait tout, ses projets jusqu'à son nom.
Maintenant que François Bayrou a été choisi également pour superviser le Conseil national de la refondation, la question d'il y a deux ans ( François Bayrou sera-t-il le Jean Monnet du XXIe siècle ?) pourrait se compléter aussi par cette autre question provocatrice : François Bayrou sera-t-il le Jean Moulin du XXIe siècle ? Car évidemment, personne n'a été dupe et c'est bien volontairement conscient que juste avant les élections législatives de juin 2022, Emmanuel Macron a appelé cette instance d'un nom qui rappelle étrangement le Conseil national de la Résistance mis en place par Jean Moulin sur mission de De Gaulle.
Beaucoup de militants souvent d'opposition la ramènent depuis une vingtaine d'années dans les réseaux sociaux, sur ce fameux CNR de la Libération, en oubliant le contexte historique très clair : De Gaulle se moquait du programme politique, si bien qu'il a cédé sur pas mal de choses sur pression des communistes qui étaient devenus une force opérationnelle importante de la Résistance (après l'entrée en guerre de l'Allemagne contre l'URSS), car son but était d'avoir lui, chef de la France libre, une légitimité politique républicaine, et il voulait donc réunir, au-delà des mouvements de résistance (de tout bord), des représentants de tous les partis de la classe politique d'avant-guerre, en particulier de la SFIO, du PCF, du parti radical, des indépendants, de l'Alliance républicaine, etc.
L'idée d'Emmanuel Macron, elle, reste très vague. Il a compris, à la manière dont la campagne présidentielle s'est déroulée (un peu de sa propre faute, car il n'a pas fait beaucoup campagne), et avec l'absence de majorité absolue à l'Assemblée Nationale qui a renforcé sa conviction, qu'il fallait trouver d'autres modes de gouvernance démocratique, d'autres moyens de construction des grandes réformes. Il faut réformer et en même temps, il faut faire dans le consensuel, les grandes réformes ne peuvent être pérennisées que si elles engagent une majorité de Français. Jamais s'il y a une opposition trop forte. Donc il faut faire de la concertation, mais dans quel cadre ? Il y avait un début de réponse avec les gilets jaunes, dans les grands débats, mais l'exercice qui a beaucoup plus au Président de la République en 2019 a laissé des interrogations sur son efficacité et sur son utilité.
Alors, oui, refonder le débat public, refonder la manière d'articuler gouvernance et peuple, refonder l'idée de faire de grandes réformes, nécessaires, ambitieuses, avec le peuple et pas contre le peuple, c'est un peu cela que François Bayrou devra superviser très adroitement. Il ne sera pas tout seul, car au gouvernement, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran est précisément chargé, également, du Renouveau démocratique.
Mais, même dans la majorité, il y a des réticences, on ne voudrait pas renouveler la mauvaise expérience de la Convention citoyenne sur le climat du 21 juin 2020. Emmanuel Macron semble tenir beaucoup à ce CNR, et est même prêt à soumettre par référendum certaines de ses propositions. Il a présenté ce projet le 4 juin 2022 dans la presse quotidienne régionale : " J'ai porté cinq objectifs pendant la campagne : l'indépendance, le plein-emploi, la neutralité carbone, les services publics pour l'égalité des chances et la renaissance démocratique avec la réforme institutionnelle. Pour les atteindre, je veux réunir un Conseil national de la refondation. ".
L'Élysée a ainsi lancé les invitations cet été (le 11 août 2022) pour le lancement de ce Conseil national de la refondation qui aura lieu toute la journée du jeudi 8 septembre 2022 au Centre national de rugby à Marcoussis, dans l'Essonne. Certains ont déjà répondu favorablement à cette invitation, en particulier Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, François Asselin de la CPME, François Hommeril de la CFE-CGC, aussi Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef. Les autres syndicats y voient un piège.
D'autres ont également annoncé leur présence, en tant que personnalités qualifiées, en particulier Thierry Beaudet, Président du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), Pierre Moscovici, Premier Président de la Cour des Comptes, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, Corinne Le Quéré, présidente du Haut-Conseil pour le climat... mais serait-ce suffisant pour que la journée soit une réussite ?
Certainement pas, car il va manquer les plus importants, même si on s'y perd un peu. Ainsi, les associations d'élus, les trois principales (l'Association des maires de France, l'Association des départements de France et l'Association des régions de France) avaient toutes les trois refusé de jouer le jeu car elles préfèrent une négociation en direct avec le gouvernement pour les réformes qui les toucheraient : " Le cadre du CNR qui nous est proposé ne nous semble pas approprié pour évoquer les enjeux relevant des compétences de nos collectivités. C'est par un dialogue dédié et direct entre les représentants des collectivités, l'exécutif et le parlement, que doivent être abordées ces questions. ". Mais leurs présidents ont été reçus par Emmanuel Macron le 5 septembre 2022 au soir et finalement, ayant reçu des "garanties", les trois associations d'élus vont y participer.

Le plus grave est l'absence de tous les partis politiques qui ne sont pas dans la majorité présidentielle. Ils y voient seulement un "outil de communication" de l'Élysée : ni le RN de Marine Le Pen, ni FI de Jean-Luc Mélenchon ne seront présents. Ni EELV, ni le PCF. Ni probablement le PS. Les deux présidents de groupe LR Bruno Retailleau et Olivier Marleix ont également décliné l'offre ( " hors de question de participer à tout ça "). Même l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe sera absent, présentant un mot d'excuse parce qu'il aura piscine (il sera opportunément au Québec en tant que maire du Havre, mais à l'Élysée, on est très remonté contre cette absence très significative : Édouard Philippe souhaite que la Cinquième République reste une république parlementaire).
Pour une instance censée représenter toutes les forces vives de la nation, et en particulier les forces politiques, c'est plutôt raté avant même sa naissance. Parmi les réticences et oppositions, deux arguments reviennent souvent.
Le premier est politique, ou plutôt politicien : y participer ferait le jeu d'Emmanuel Macron. Mais dans ce cas, tout acte présidentiel serait corrompu par des arrière-pensées politiciennes. Certes, il ne faut pas être naïf, mais c'est le cas de tout gouvernant pour n'importe quelle décision politique : ou elle est populaire et on le taxera de démagogue, ou elle est impopulaire et au lieu de le glorifier comme un valeureux courageux, on dira simplement qu'une majorité populaire s'y oppose. C'est un argument de responsables politiques lâches qui regardent plus leur intérêt politique clanique que l'intérêt général et l'intérêt populaire.
Le second argument est en revanche très recevable, c'est l'argument institutionnel : il y a un risque de contourner le Parlement, la représentation nationale démocratiquement désignée, au profit d'un comité Théodule à la composition vague et évasive, non représentative, qui proposerait n'importe quoi. Car au Parlement, il y a des discussions et des préparations dans les commissions, il y a des auditions auprès de personnes qualifiées, et les parlementaires ensuite émettent des doutes, des améliorations sur un projet de loi ou sur une proposition de loi. En outre, il existe déjà une instance pour faire dialoguer tous les acteurs publics, les forces vives de la nation, il s'agit du Conseil Économique, Social et Environnemental qui avait déjà organisé la Convention citoyenne pour le climat.
C'est d'ailleurs le contenu du courrier que le Président du Sénat Gérard Larcher lui-même a adressé le 26 août 2022 à Emmanuel Macron en expliquant son absence, pour : " exprimer notre réticence par rapport à ce projet de Conseil national de la refondation qui, par le risque de confusion qu'il recèle et les incertitudes qui demeurent sur son rôle véritable, est perçu comme une forme de contournement du Parlement, c'est-à-dire de la représentation nationale ". Gérard Larcher ajoutait : " Les mécanismes de démocratie participative peuvent contribuer à éclairer la représentation nationale, mais ils ne peuvent en aucun cas s'y substituer. ". Refusant cet " exercice indéterminé de co-construction de la loi en dehors du Parlement ", il a mis en garde : " La loi ne se vote qu'au Parlement. ".
L'article sur le sujet de Sarah Paillou et d'Emmanuelle Souffi du "Journal du dimanche" le 5 septembre 2022 termine ainsi : " Les troupes du chef de l'État, donc, marchent sur des œufs. "Le 'on prendra toutes vos propositions' de Macron avant la convention citoyenne pour le climat, il est urgent de ne pas le reproduire", glisse un soutien du Président. En somme, ne rien promettre, confirme un conseiller : "Il ne faut pas créer trop d'attentes, ne pas en faire l'alpha et l'oméga de la rentrée". Tout en tentant de faire regretter leur choix aux absents. Un défi. ".
Sans le dire, c'est l'intuition originelle de Ségolène Royal sur la démocratie participative qui est utilisée pour l'intégrer dans un mode de gouvernance qui se cherche et qui permettrait aux citoyens de contribuer à l'élaboration des projets de loi. Et les grands débats n'ont pas apporté d'actions à la hauteur de la forte attente de leurs participants.
François Bayrou sera " prêt à aider par tous les moyens pour garantir la bonne tenue de cette démarche et pour que personne ne se sente instrumentalisé ". Il l'a dit à l'AFP : " J'ai toujours défendu cette idée selon laquelle il faut trouver des zones de consensus pour faire avancer un certain nombre de diagnostics qui n'avancent jamais. ". Alors, le Président de la République, malgré les nombreuses défections, veut quand même persévérer et commencer à faire exister quelque chose, même une coquille vide, en espérant que, par un effet d'entraînement, les absents se sentiraient en tort et rejoindraient le conseil.
Le 31 août 2022, la Première Ministre Élisabeth Borne a donné l'agenda du CNR : " le plein-emploi, l'école, la santé, le bien vieillir et la transition écologique ". Rien que cela ! Invitée de la matinale sur France Inter le lendemain, 1 er septembre 2022, elle s'est interrogée sur l'esprit de responsabilité de ses opposants : " Moi, je m'interroge, est-ce que dans la période actuelle où l'on fait face à des défis considérables, où il y a sans doute des bouleversements comme notre pays n'en a pas connus depuis des années, est-ce que c'est naturel de refuser la discussion avant même qu'elle n'ait commencé ? (...) Chacun est libre de ses choix, mais je trouve un peu paradoxal de refuser la discussion. ".
Mais animé d'un esprit de dialogue, Élisabeth Borne laisse toujours la porte ouverte à ceux qui n'y croiraient pas au début : " Je pense que c'est important qu'on puisse partager les diagnostics, qu'on puisse discuter des objectifs, et je le redis, nous, c'est en tout cas le souhait du Président de la République et c'est aussi ce que je souhaite, qu'on puisse, au maximum, partager avec les forces politiques, avec les organisations patronales, syndicales, les associations, les associations d'élus, et la porte restera ouverte. ".
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 septembre 2022)
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Pour aller plus loin :
Le feu sacré d'Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron à Pithiviers.
Pas de session extraordinaire en septembre 2022.
Jacques Attali et Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron persiste et signe !
François Bayrou, le gentil organisateur du CNR.
Le Conseil national de la refondation (CNR).
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François Bayrou relance le programme nucléaire français.
François Bayrou et l'obsession de la proportionnelle.
Marielle de Sarnez.
François Bayrou sera-t-il le Jean Monnet du XXIe siècle ?
Vive la Cinquième République !

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