Et Winston, Winston Churchill, c'est Noël.
Noël à lui tout seul.
Délibérément Corinne Desarzens a choisi de dresser le portrait de Winston par séquences, sans trop se soucier de chronologie, même si celle-ci est toujours présente en filigrane, jalonnée de retours en arrière judicieux.
C'est une biographie personnelle à laquelle l'auteure se livre et où se mêlent des souvenirs qui le sont tout autant, sans l'éloigner de son sujet, qui, dès la Grande Guerre, se révèle un premier lord de l'Amirauté hors normes:
Son inextinguible bravoure et surtout sa soif d'apprendre, sautant à pieds joints dans toutes les disciplines, lui valant le respect, la complicité, l'affection générale et l'adoration très souvent.
Ce Britannique atypique est un homme de guerre. Il en administre la preuve lors des deux conflits mondiaux, même lorsque ses décisions ne sont pas couronnées de succès, capable de redresser des situations désespérées:
Winston continue à penser que la guerre est l'occupation naturelle de l'homme. Avec le jardinage.
Pour ce qui est du jardinage, un escadron s'en occupe à Chartwell, le manoir situé à 40 km au sud de Londres, dans le Kent, qu'il acquiert après la Grande Guerre pour lui et les siens et dont il s'éloigne le moins possible:
Un jour loin de Chartwell est un jour gaspillé.
Si, dans sa vie privée, il se révèle prodigue et piètre financier, il se force à travailler comme un tigre à ses fresques historiques bien plus rémunératrices que sa fonction officielle, si bien que l'austérité a ses limites.
Si, dans sa fonction officielle, il est considéré comme l'homme sauvage, ses prédictions s'avèrent exactes et ses discours se font brefs et percutants. Quand survient le pire, implacable, voire odieuse, est sa détermination.
L'homme est excessif: il fume, boit, est un gros mangeur matinal, un grand épistolier et un orateur qui prononce mille sept cents discours (qu'il retient grâce à son système anti-trous de mémoire), bref, il est vivant tout court:
Winston vous frictionne du désir même de vivre.
Remercié, il est rendu à lui-même et peut enfin consacrer du temps au spectacle du monde et rédiger ses mémoires. L'à-valoir de Life fond très vite, car son équipe compte six secrétaires, huit assistants et neuf à mi-temps.
Mais le résultat est là. Ses mémoires comprennent pas moins de trente-sept volumes comme le nombre de ses chevaux, montés par des jockeys casaque rose, manchettes et casquette chocolat, aux couleurs de l'écurie de son père.
En 1951, à nouveau Premier Ministre, Winston redevient l'équilibriste, au charme renouvelé. Un Montaigne bienveillant en carreaux écossais et chaussé d'antilope. Sa tête dévissée se rallume. Son visage du dessous remonte.
Après avoir démissionné en 1955, Winston vivra quelque dix ans, jusqu'à 91 ans, juste un mois après ce Noël où les Beatles, la frange sur les yeux, posent en quadrichromie autour d'un sapin, le temps encore de le célébrer.
À lire le livre de Corinne Desarzens, il est difficile de ne pas être au moins fasciné par Winston, en dépit de ses défauts, et de constater que, sous sa plume, il n'est pas mort. Ce qui est en soi un très beau cadeau de Noël.
Francis Richard
Un Noël avec Winston, Corinne Desarzens, 168 pages, La Baconnière (sortie en France le 8 septembre 2022)
Livres précédents:
Un roi, 304 pages, Grasset (2011)
Carnet d'Arménie, 88 pages, Éditions de l'Aire (2015)
Le soutien-gorge noir, 192 pages, Éditions de l'Aire (2017)
Couilles de velours, 96 pages, Éditions D'autre Part (2017)
L'Italie c'est toujours bien, 128 pages, La Baconnière (2018)
La lune bouge lentement mais elle traverse la ville, 344 pages, La Baconnière (2020)