Je relis ma nouvelle primée. Elle ne me plaît plus. Peut-être qu'il est temps de salir d'autres pages, semer d'autres grains noirs.
C'est à la fin de ce roman que le narrateur dit cette phrase. Elle en résume le propos. Les Grains noirs sont en quelque sorte les épisodes écrits de son apprentissage de la vie.
Cette vie a été pour lui semée d'embûches. Comme bien d'autres, la migration d'un de ses parents en a été la cause. Il a poussé à partir de plusieurs racines qui se contrarient.
Sa mère a été mise enceinte par un homme qui s'est gardé d'en assumer la paternité, dans un pays, le Maroc, qui, peut-être plus que d'autres, ne tolère pas les filles-mères.
Sa mère a accouché en Suisse. Obligée de gagner sa vie, elle a confié son fils à Elvezia, qui s'en est occupée avec beaucoup de dévouement, dans une petite ville de montagne.
Tandis que le narrateur raconte sa vie en suivant une relative chronologie, il émaille son récit de souvenirs marquants, qui, enfant et ado, l'ont marqué, en Suisse et au Maroc.
Avant de se marier avec un Marocain, sa mère compte plusieurs hommes dans sa vie, ce qui n'est pas stabilisant. Lui-même vit quelques amours débutantes et formatrices.
D'origine arabe, il est souvent mal considéré en Suisse tessinoise et en Italie. Et, au Maroc, il n'est pas mieux considéré parce qu'il ne parle pas arabe, ce qui est un comble.
Quand il demande un permis de séjour en Italie pour s'inscrire à une université, il se trouve en butte à des formalités administratives parce qu'il ne coche pas les bonnes cases:
"Ton lieu de domicile?
- En Suisse. Mais j'aurais besoin d'un permis de séjour parce que je suis de nationalité marocaine.
- Tu n'as pas de passeport suisse?"
Il a l'air surpris. Son tutoiement m'agace.
Je secoue la tête.
Ce qui contribue à comprendre ce que vit le narrateur, c'est l'emploi par l'auteur d'un italien auquel se mêlent différentes langues et cultures, que la traductrice a conservées:
Le dialecte de l'enfance, l'arabe de ses origines, l'allemand et le français de cette autre Suisse toute proche.
Le lecteur ne peut qu'avoir de la sympathie pour le narrateur, devenu enseignant, d'autant qu'il a une telle soif de littérature qu'il ne sait pas combien il achète de livres par an.
Francis Richard
Grains noirs, Alexandre Hmine, 286 pages, Zoé (traduit de l'italien par Lucie Tardin)