Une silhouette brisée

Elle déambule dans les allées recouvertes d'herbes folles d'un parc d'attractions laissé à l'abandon. Elle s'avance d'un pas fragile entre les manèges rouillés, où rien ne subsiste des rires pleins de cordes à danser de l'enfance. Elle balaie les lieux d'un regard craintif, sans voir l'ombre de la gamine qu'elle fut se perdre derrière elle dans des jeux de cour d'école. Plus j'observe cette silhouette brisée, plus j'ai l'impression de la connaître.

Après un fragment d'éternité, un goût de catéchisme et de mesures disciplinaires dans la bouche, je reconnais enfin cette femme qui a courbé l'échine au point où sa posture en est venue à épouser les formes les plus intenables de la résignation. Je baisse les yeux à la vue de son visage fardé de tristesse, de son regard piégé par la violence des électrochocs. La gorge nouée par une tristesse de cercueil d'occasion, je réalise que j'ai toujours été incapable de lui dire je t'aime, maman.