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Il fut un temps où l'on pouvait encore regarder des événements sportifs et vibrer aux exploits de nos champions sans trop d'arrière-pensées. Ce temps, c'était la Présidence Chirac.
Bien-sûr, Chirac avait fait des pieds et des mains pour obtenir l'attribution de la Coupe du Monde de football à quelques mois de la Présidentielle de 1988 (ce qui n'avait servi à rien), bien-sûr, il en avait fait des tonnes à l'occasion de la victoire de 1998 (ici, une archive d'anthologie). Mais cette victoire inattendue lui était un peu tombée sur la tête par surprise (comme à nous tous), il ne l'avait pas déclarée enjeu national. Chirac, en papa-poule bon enfant, saluait et décorait les sportifs, fréquentait les stades mais n'y comprenait pas grand-chose et ça se voyait.
Et il s'en foutait que ça se voit, et nous on s'en foutait qu'il s'en foutait...
Bref, il nous faisait plutôt marrer, avec ses maladresses d'escogriffe et ses grandes paluches.
Certes on avait eu mieux: un Mitterrand qui, pour le coup, s'en fichait royalement du sport et ne faisait même pas l'effort de faire semblant de s'y intéresser. Mais globalement, on était bien content comme ça.
Et puis....
Et puis est arrivé de l'hyperspace, un petit joggeur besogneux selon lequel le sport devait prendre une tout autre signification.
Le sport d'abord comme métaphore de la société: le sportif étant censé incarner par excellence l'idéal sarkozyste du "travailler plus pour gagner plus !" qui fait de nous tous des self made men en puissance, à condition d'y croire, de souffrir, de s'entraîner, de se dépasser, etc. etc. On le sait, les métaphores sportives sont les préférées des multinationales et de la droite décomplexée (Le "on va encore accélérer" ou le "il faut garder le rythme sans s'essouffler" ou surtout le "on y va à fond !" de Fillon, Bertrand et consorts). Sarkozy lui-même à Pékin il y a trois jours haraguant les sportifs français: "Allez-y à fond, c'est un spécialiste qui parle !"
Le sport ensuite comme objectif national prioritaire.
Avant tout, comme drogue, dérivatif, divertissement, Sarkozy à Pékin: "Des milliers de Français dont la vie n'est pas toujours facile vont rêver en vous soutenant et en vous regardant." Notre pouvoir impuissant à influer en quoi que ce soit sur notre niveau et notre qualité de vie réels, fait la danse du ventre autour d'événements sur lesquels il ne peut rien. On l'avait déjà souligné lors de la libération de Bétancourt. Des gus viennent même vous expliquer les points de croissance à gagner, la corrélation entre rang économique mondial, PNB et nombre de médailles aux Jeux, etc. etc.
Mais aussi comme objectif de politique intérieure. Scénario idéal pour la droite que cette communion espérée de tous les Français autour d'une hypothétique victoire française qui serait leur victoire par procuration. En effet :
* elle semble a-politique (et depuis 1914, la droite adore l'idée d'Union sacrée transcendant soi-disant les clivages politiques et dont la finalité est de systématiquement lui profiter à la sortie (à commencer par le Bloc National de 1919)... Sarkozy à Pékin: "Je ne fais pas de politique, il faut soutenir le sport") ;
* elle est patriotique. Ah ! Le sportif français drapé dans l'emblème national, faisant le tour du stade ! Ah les larmes de Trucmuche saisie par l'émotion sur le podium tandis que "ces féroces soldats, tssouin, tssouin, viennent jusque dans nos bras, égorger tssouin, tssouin, etc.". Passage en boucle sur France CAC40-Sport-Info.
Désormais le sport français n'est donc pas un peu de droite, il est totalement de droite.
Il vote Sarkozy − comme d'ailleurs dans la vraie vie, de nombreux sportifs de haut niveau. (Il faut absolument lire à ce propos, comme signalé ici, cet article hallucinant du dernier Journal du Dimanche, récit obséquieux et complaisant de la virée de Sarkozy en Chine: tout y est ! -- AVERTISSEMENT: si vous cliquez sur ce lien, éloignez les enfants: la photo quasi pédophile d'un Vampire nord-Caucasien poto à Nicolas, pourrait les traumatiser --)
Bref, toute défaite française est donc à mon sens une mini-victoire électorale.
Et voilà pourquoi les dernières nouvelles sportives me mettent d'excellente humeur.
AJOUT (15h30): à lire sur le même thème, l'excellent Lait'dBeu.