Emmanuel Macron à Pithiviers, en guerre contre les falsifications de l’histoire

Publié le 01 septembre 2022 par Sylvainrakotoarison

" L'État français parqua ces familles, les retrancha dans des camps d'internement à Drancy, à Beaune-la-Rolande ou ici à Pithiviers avant de les déporter dans des camps d'extermination où, dans leur immense majorité, ils furent aussitôt assassinés dans les chambres à gaz. Une gare comme celle-ci, où nous nous retrouvons aujourd'hui entre une mairie et un clocher, la France en compte des milliers. Mais il y a quatre-vingts ans, les quatorze convois de la mort qui sont passés par cette gare en ont modifié le visage à jamais. " (Emmanuel Macron, le 17 juillet 2022 à Pithiviers).

Comme planifié dans son emploi du temps du début de l'été, le Président de la République Emmanuel Macron s'est rendu à la gare de Pithiviers le dimanche 17 juillet 2022 à l'occasion du 80e anniversaire de la rafle du Vel' d'hiv et il y a prononcé un important discours sur cette période noire de la France. Des policiers et des gendarmes français ont arrêté des Juifs, les ont parqués au Vélodrome de Paris, puis ils ont été répartis à différents camps, à Drancy, mais aussi à Pithiviers dans le Loiret (entre Orléans et Fontainebleau) avant d'être acheminés vers des camps d'extermination. L'information de la rafle avait couru sous forme de rumeur les jours précédents, si bien que beaucoup d'hommes juifs se sont cachés et sont devenus clandestins, mais on n'imaginait pas que les femmes et les enfants seraient arrêtés, ce qui fait que les hommes étaient plutôt minoritaires dans ces camps d'internement.
La venue d'Emmanuel Macron avait au moins trois objectifs, qui ont tous été remplis. Le premier, c'était de réaffirmer la vérité historique, qui peut faire mal, à savoir que ce sont des policiers français qui ont fait ce sale boulot, cette rafle, et avec zèle puisqu'ils ont même arrêté et fait déporter les enfants alors que les nazis ne le leur avaient pas demandé. Depuis le fameux discours du Président Jacques Chirac du 16 juillet 1995, la France a reconnu sa responsabilité, c'était essentiel, même s'il faut rappeler que beaucoup de Français ont refusé courageusement cette politique antisémite, ont caché des Juifs chez eux, certains se sont révoltés et se sont engagés dans la Résistance pour cette raison.
Il me semble que son successeur direct Nicolas Sarkozy ne soit pas revenu sur cet épisode tragique de l'histoire de France (il a célébré le jeune Guy Môquet et le Plateau des Glières, ce qui était aussi nécessaire), mais ses autres successeurs, François Hollande et Emmanuel Macron sont revenus sur les lieux avec des discours tout aussi importants (le 22 juillet 2012 et le 16 juillet 2017).
Ce 17 juillet 2022, Emmanuel Macron n'a pas fait une sorte de nouvelle redite et est le premier Président de la République à venir commémorer ce drame national à la gare de Pithiviers, seul lieu qui reste (le camp a été démonté et détruit depuis longtemps). Il y avait d'ailleurs la présence du président de la SNCF et de son prédécesseur, puisque la SNCF a contribué à déporter ces Juifs arrêtés vers les camps de la mort. La SNCF a contribué en particulier à la mise en place de cette nouvelle succursale du Musée de la Shoah (présidé par Éric de Rothschild). Cette reconnaissance de Pithiviers est donc le deuxième objectif présidentiel, rappeler que c'est un lieu de mémoire, et les voyageurs qui attendront un train ou un passager pourront lire la plaque expliquant cette tragédie posée et inaugurée ce jour-là sur un mur du bâtiment.
Enfin, sur le plan plus politique, ou, du moins, sur le plan historique pour contrer un ancien adversaire à l'élection présidentielle, Emmanuel Macron a voulu corriger les inepties dites par Éric Zemmour sur ce sujet très sensible du comportement des Français sous l'Occupation. Parmi les nombreux invités, il y avait les parlementaires du Loiret (dont le sénateur Jean-Pierre Sueur, ancien ministre et ancien maire d'Orléans), l'ancienne Ministre de la Santé Agnès Buzyn dont le père chirurgien Élie Buzyn était un rescapé de la Shoah (il vient de mourir le 23 mai 2022) et dont l'ancien mari était l'avocat Pierre-François Veil, un des fils de Simo ne Veil, il y avait aussi les époux Beate et Serge Klarsfeld (et leur fils Arno), etc.
Ce travail mémoriel est essentiel parce que les souvenirs commencent à s'échapper avec le temps. Les acteurs, les témoins, les rescapés sont aujourd'hui très âgés et bientôt vont disparaître. Non seulement l'actuel chef de l'État est né bien après la fin de la guerre (ainsi que ses deux prédécesseurs depuis 2007), mais ses propres parents aussi sont nés en 1950, après la guerre. C'est la dernière génération qui reste, ceux qui étaient des enfants ou adolescents dans les années 1940 et qui ont maintenant dans les 85-90 ans voire plus.

Il faut se souvenir, toujours se souvenir : " Depuis Pithiviers, on déporta d'abord les hommes et les grands adolescents, puis des femmes qu'on arracha à leurs enfants. Déjà orphelins, sans le savoir encore, ces derniers restèrent seuls pendant des semaines, tendus, hagards, entassés dans des baraquements de tôle, recroquevillés sur de la paille, rongés par la vermine, avant d'être poussés à leur tour sur les rails d'Auschwitz. Pas un seul d'entre eux n'est revenu. (...) Cette gare qui fut un lieu de deuil, d'horreur, nous en faisons aujourd'hui un lieu de mémoire pour honorer le souvenir des 16 000 Juifs, dont 4 700 enfants qui furent internés de 1941 à 1943 à Beaune-la-Rolande et à Pithiviers. ".
Et rétablir des vérités historiques aujourd'hui parfois bafouées par des histrions de pacotille : " Oui, agissant au nom de la France, trahissant l'esprit et l'espoir de la République, l'État français de Pétain, Laval, de Bousquet, Darquier de Pellepoix, l'État français manqua de manière délibérée à tous ses devoirs de la patrie, des Lumières et des droits de l'homme. Car pas un seul soldat de l'Allemagne nazie ne prit part à la rafle des 16 et 17 juillet 1942. Tout cela procédait d'une volonté et d'une politique gangrenée par l'antisémitisme, initiée dès juillet 1940 et dont les racines plongeaient dans les décennies de notre histoire qui précédaient. ".
Se voulant insistant, Emmanuel Macron a alors cité des décisions précises, établies historiquement : " Le 3 octobre 1940, de sa propre initiative, l'État français avait institué un statut particulier des Juifs, un statut que le maréchal Pétain, de sa main même, avait rendu encore plus odieux. Après la rafle du Vel d'Hiv, l'État français persista avec la livraison aux Allemands en zone occupée de 10 000 Juifs étrangers de la zone libre qui étaient arrêtés lors de la grande rafle du 26 août dans les quarante départements de la zone contrôlée directement par les hommes de Vichy. Si ce sont les nazis qui ordonnèrent le port de l'étoile jaune, c'est encore l'État français lui-même qui imposa la mention Juif sur les papiers d'identité. C'est lui qui étendit cette politique de discrimination, d'exclusion, de persécution qui fut, à dire vrai, initiée dès le 6 avril 1940 par un décret qui a assigné à résidence tous les tsiganes, qu'il poursuivit et aggrava par la loi du 13 août 1940, qui entendait les francs-maçons au nom de la lutte contre le judéo-maçonnisme, par la loi du 14 août 1941, qui instituait les sections spéciales, ces tribunaux d'exception destinés à condamner à mort des communistes et des anarchistes. ".
Un regard lucide mais pas victimaire : " La France de Vichy venait de loin, insidieusement, et en quelques mois, elle a éteint les lumières, sali les couleurs, trahi les valeurs de notre nation. La responsabilité de la France y était engagée pour le pire. Mais si la France s'est trahie elle-même à travers ce régime parce qu'elle avait renoncé à ce qui lui est inséparable, la République, l'humanisme, ce n'était pas là toute la France, ce n'était pas là toute la République, même pas la République du tout. ".
Puis, le Président de la République a cité quelques grands noms de la Résistance, de la République et de l'esprit de la France : le cardinal Jules Saliège (archevêque de Toulouse), De Gaulle, André Malraux, Jacques Chaban-Delmas, Daniel Cordier, Hubert Germain, Lucie Aubrac, Missak Manouchian, Pierre Mendès France, Léon Blum, Joseph Kessel, Paul Didier (le seul magistrat qui n'a pas prêté serment de fidélité à Pétain), et plein d'autres qui furent des exemples pour la patrie.
Ce travail de mémoire est essentiel car cet antisémitisme qui a tant ruiné moralement la France de 1940, il est toujours aussi vif, toujours aussi tenace : " Nous n'en avons pas fini avec l'antisémitisme, et nous devons en faire le constat lucide. Cet antisémitisme est même plus brûlant, rampant qu'il ne l'était en 1995 dans notre pays, en Europe et dans tant d'endroits du monde. (...) L'odieux antisémitisme (...) est là, il rôde, toujours vivace, persiste, s'obstine, revient. Il se déchaîne dans la barbarie terroriste. (...) Il s'installe dans la succession des assassinats, des crimes antisémites perpétrés ces dernières années. Il s'affiche sur les murs de nos villes, il s'infiltre dans nos réseaux sociaux, il plastronne sur les tréteaux, applaudi par ceux qui confondent antisémitisme et liberté d'expression. Ils profanent nos tombes, ils souillent les portraits de Simone Veil. Il s'immisce dans les débats sur certains plateaux de télévision, il joue de la complaisance de certaines forces politiques. ".
L'attaque contre Éric Zemmour était alors très clair : " Il prospère aussi à travers une nouvelle forme de révisionnisme historique, voire de négationnisme. N'a-t-on pas cru bon, encore récemment, de rouvrir un sujet pourtant tranché de longue date par les historiens comme par les juristes, sur la participation de Pétain et des hommes de Vichy à la mise en œuvre de la Solution finale ? Alors, répétons-le ici avec force, et n'en déplaise à des commentateurs se faisant révisionnistes, ni Pétain, ni Laval, ni Bousquet, ni Darquier de Pellepoix, ni aucun de ceux-là n'a voulu sauver des Juifs. C'est une falsification de l'histoire de le dire. Et ceux qui s'adonnent à ces mensonges ont pour projet de détruire la République, et partant à nouveau, l'unité de la nation. ".
Enfin, l'enseignement à retenir pour l'avenir : " Regarder notre vérité en face, ce n'est pas affaiblir la France, ni se repentir, c'est reconnaître tout pour ne pas le reproduire. Dans ce contexte, les forces républicaines de notre pays doivent redoubler de vigilance. Car oui, la mécanique de 1940 venait de loin, et s'était nourrie de haine, d'un antisémitisme devenu ordinaire, d'approximations, de cette conviction, au fond, chez les uns, que la France était grande quand elle a oublié ses propres errements, quand elle pouvait se libérer de ses principes si encombrants de la République qui, paraît-il, l'affaiblissait. Et chez les autres, de cette habitude qu'ils avaient prise, que tout cela n'était pas si important, si essentiel. Ne jamais rien céder, réprimer et punir, commémorer et instruire. ".
C'est une exigence de tous les jours d'autant plus nécessaire que n'importe qui peut diffuser n'importe quoi sur Internet, sans filtre, sans modération. Les mots n'ont jamais cessé de tuer et il est là, l'enjeu, dresser une barrière infranchissable à ce qui a donné la Shoah. En clair, ne jamais céder sur nos valeurs républicaines. Ce discours présidentiel, à l'allure d'homélie, a eu cette fonction historique, marquer une nouvelle fois de jalons notre mémoire collective.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le feu sacré d'Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron à Pithiviers.
Jacques Attali et Emmanuel Macron : pourquoi la fresque d'Avignon était antisémite.
Discours du Président Emmanuel Macron le 17 juillet 2022 à Pithiviers (vidéo et texte intégral).
La rafle du Vel d'Hiv, 80 ans plus tard : les heures sombres de notre histoire...
Les 75 ans de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
La tragique expérience de Simone Veil à Auschwitz.
Emmanuel Macron et le Vel d'Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d'Hiv (22 juillet 2012).
Discours d'Emmanuel Macron du 16 juillet 2017 (texte intégral).
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte intégral).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).

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