(Note de lecture) Pour accompagner quelques livres de James Sacré, par Alexis Pelletier

Par Florence Trocmé


Pour accompagner quelques livres de James Sacré

Vers la fin de Figures de solitude, James Sacré, dans le poème « Un tissu continue de se déchirer » lance cette expression au carrefour du cri, de la prière et du constat : « Je voudrais que le poème ne m’abandonne plus / Dans ce qui reste à vivre. » (p.142). J’ai l’impression que c’est le point central, aujourd’hui, de ce qui constitue son geste poétique, dans tous les recueils et livres qu’il publie depuis Figures de silences, Les arbres sont aussi du silence, Broussailles de bleu et Brouettes. Il s’agit de faire face par le poème à la mort qui n’en finit pas de venir. Et il semble que dans cette confrontation, la question de la vérité du dire ne cesse de revenir dans les poèmes. Dans Brouettes, on lit (p.17) : « Quelle vérité d’un moment / Dans la vérité du temps ? » L’évidence poétique de Sacré, c’est justement la fragilité même de cette évidence. Il y a les mots qui disent ce qu’on voit et qui forment un poème mais après bientôt soixante années d’écriture poétique – Relation, le premier ouvrage, a été publié en 1965 – cela reste toujours aussi improbable. Les Figures de silences – et l’on remarquera bien le pluriel de ces silences – s’achèvent par une réponse suspendue à la question « S’il y a toujours un double à tout ? » Et c’est encore la vérité qui tremble quelque part : « Le souvenir pour le passé qu’on oublie / Le passé pour le présent qui ment / Demain pour l’improbable futur / Le faix et son ombre de vrai. // Le silence pour tout le bruit qu’on fait. » (p.156-157). Ce n’est pas de la mélancolie, c’est l’expression du deuil, c’est-à-dire « de la mort / Qu’on installe dans ce qu’on croit vivant » (Les arbres sont aussi du silence, p.74). Ou encore : « La pensée du paysage réduite / À du silence, au vide, à la mort ». L’image du tissu qui se déchire, qui a été retenu pour la publication du triptyque consacré à son père (Quel tissu se déchire, Tarabuste 2018) » crée le mouvement de disparition mais de telle manière que celui-ci ne finit pas. Et c’est précisément ainsi que le poème continue d’accompagner. Brouettes rassemble diverses images de celles-ci (vues au Maroc, en Italie, en Espagne mais aussi quand vient le mot « rouge », dans le Cougou de l’enfance vendéenne, en même temps que dans tout le recueil Cœur élégie rouge (d’abord publié au Seuil, en 1972). C’est donc, dans ce face à face avec la mort un recommencement perpétuel du geste poétique. Et c’est précisément là que la voix de James Sacré est si présente. Parce que c’est comme si elle parvenait à concentrer dans une expression tous les poèmes que l’auteur porte. J’en veux pour preuve le fait que le titre du livre publié chez Voix d’encre soit presque la dernière phrase du poème « Les arbres, les mots, les formes qu’on dessine / Sont aussi du silence » (p.77). Et de cette manière James Sacré ne cesse de nous donner des images à voir par ces mots. Les Brouettes permettent ainsi d’en construire une par l’écriture. Image solitaire sans doute, mais il faut bien avoir compris qu’on va « dans un livre / Comme on va dans un paysage / Comme on va dans la vie » (Figures de solitudes, p.7) et que ces images de silences ou de solitudes qui s’additionnent sont autant de poèmes qui parlent à celles et ceux qui les lisent et qui les constituent. Et au premier rang de ces lecteurs, c’est l’écrivain lui-même qui dans un tutoiement familier nous implique comme il se donne à l’écrit : « Tu montres l’énigme que tu ne comprends pas : Peut-être, ou peut-être pas. » (Broussailles de bleus, p.50).

Alexis Pelletier

Figures de silences, Tarabuste, 2018, 164 pages, 15€.
Les arbres sont aussi du silence, avec des encres de Chine de Raphaël Segura, Voix d’encre, 84 pages, 25€.
Broussailles de bleus, avec des dessins de Jacquie Barral, le Réalgar, 2021, 60 pages, 12€.
Figures de solitudes Tarabuste, 2021, 156 pages, 14€.
Brouettes, avec des dessins d’Yvon Vey, Obsidiane, 2022, 52 pages, 13€.