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A propos de mon roman « Les Silences de Julien » (Presses...

Par Laporteplume
A propos de mon roman « Les Silences de Julien » (Presses... 

A propos de mon roman « Les Silences de Julien » (Presses de la Cité-2021)

Analyse de Brigitte PETIT - Psychologue clinicienne

Auteure de « Pour une approche plurielle de la schizophrénie » (Ed. d’écarts coll. Diasthème)

Bonjour,

Je viens de terminer votre livre « Les silences de Julien » et je souhaitais partager ce retour de lecture avec vous.

Les silences de Julien est un livre plein d’humanité qui réenchante un monde qui en a bien besoin. Il y a également, distillé dans le récit de cette histoire, un certain nombre de valeurs, la réprobation de positions ou attitudes qui prennent le risque d’égratigner quelqu’un et une certaine philosophie du prendre soin de l’autre dans les rapports humains. Et puis il y a la musique, le bois et la nature que vous décrivez parfois un peu à la Giono, dans ce que la nature contient de vie et de bonheurs à saisir pour qui sait le voir, l’entendre, le sentir ou le toucher.

Alors quelques associations en lisant le livre.

D’abord le personnage de Baptiste Bécart, homme singulier plein de sagesse par qui passera, entre autres, la transformation de Julien. Ce personnage, est un être bienveillant qui apaise, soulage, encourage et surtout sait faire confiance. Pour avoir confiance en soi, encore faut-il que quelqu’un un jour nous fasse confiance. Il a quelque chose du maître (au sens noble du terme), un peu mystérieux, solide. On imagine qu’il a dû traverser ou négocier lui-même des passages délicats dans sa vie. Sa passion est probablement sa force et son refuge.

Alors, Bécart, me fait penser au signe bécarre en musique, ce signe qui redonne à la note qui en est affectée, sa tonalité naturelle. Julien va découvrir « sa tonalité naturelle » à la fin du roman. Pas celle qu’on lui a imposée une bonne partie de son enfance et de son adolescence du côté du handicap ou de la maladie. Baptiste, celui qui baptiste, qui fait rentrer l’être baptisé dans une communauté à laquelle il appartient de plein droit et non dans les marges. Julien va réintégrer la communauté des gens comme tout le monde, sans étiquette dans le dos, grâce en grande partie à Baptiste Bécart. Dans votre roman, vous décrivez tout le long du livre comme un ostinato « l’écharpe de grosse laine grise à larges rayures noires » de Baptiste. Là, énigme pour moi ! Avez-vous une réponse ?

Léopold Malard : c’est le moins sympathique des personnages, celui qui provoque la souffrance de certains et plus particulièrement celle de Marianne et Julien. On ne sait pas pourquoi l’enfant de Jules et Léonie est devenu un tel être narcissique en quête de reconnaissance qui s’appuie sur les autres jusqu'à les écraser voire qui les utilise pour trouver un bonheur qui se dérobe toujours car ce qu’il cherche ne lui est pas accessible. Peut-être sortir de sa condition de fils de paysans ? Si c’est important pour lui, le seul moyen d’échapper au fait de souffrir d’être fils de paysan c’est d’accéder à une image plus pacifiante du paysan proche de la nature et d’aimer et s’approprier en partie ce qu’elle offre. C’est ce qui se passera vers la fin du livre, lorsqu’il envisage de s’installer à Fabimpré. En se réconciliant avec ses souvenirs, ses parents (en partie), il se réconcilie avec lui-même. Son discours dans l’avion qui l’emmène avec Cynthia aux Etats-Unis est intéressant. Le personnage semble faire son mea-culpa (et cela nous fait du bien aussi à nous lecteur) mais il ne change pas. Des regrets, pas de culpabilité. Et puis sa « nature » (avec ou sans bémol ou dièse) reprend le dessus avec cette injonction à Cynthia « D’ailleurs, je te remercie de ne plus jamais me poser ce genre de question. D’accord ? » Cela recommence, cette tentation de faire plier l’objet pour obtenir ce qu’il veut (il ferait mieux comme son fils de façonner le bois afin d’accéder à la résonnance souhaitée du violon ou de la viole d’amour et non faire plier l’autre). Léopold n’est pas complètement antipathique. Il est juste souvent insupportable. Il sait aussi mettre profil bas devant Marianne qui se fâche ou Julien qui s’oppose et on se demande pourquoi Marianne ne l’a pas fait plus souvent et très tôt dans leur relation. On sent une forme de souffrance en lui qu’il fuit comme il peut. Souhaitons-lui de trouver enfin du bonheur à partager, sans qu'il soit obligé de le voler aux autres.

Julien bien sûr. Je ne peux que vous rejoindre dans les errements de ces professionnels de santé qui collent étiquettes et conduites à tenir. Julien est-il autiste ? Tout dépend comment on perçoit l’autisme : maladie, handicap ou attitude humaine plus ou moins marquée ? Les silences de Julien sont des pauses dont il semble avoir besoin. Déclamer des poésies aussi. Julien a eu la chance d’avoir des briques solides et suffisamment malléables pour se construire : sa mère, George, ses grands-parents, Baptiste et la tendre et authentique Fabienne, Gaillard le cheval, le bois, la viole d’amour et bien d’autres choses encore auxquelles appartiennent les cailloux qu’il jette à l’eau à la fin du livre. On voit comment les mots qui manquent à nommer l’incompréhensible qui le tourmente, il les trouve dans la lecture de classiques, dans l’expérience sensible de ces auteurs d’exception qui ont compris eux tant de choses (y compris ce que l’on ne comprendra jamais tout en sachant s’en passer). Les mots du livre lui parlent à défaut de symboliser quelque chose. Et c’est déjà pas mal. Il entend les mots écrits, pas toujours les paroles des autres. Ou alors un autre absent, mort et toujours vivant : l’auteur éternel. Le basculement vers la résilience voire la renaissance ou la naissance semble se dérouler lorsqu’il découvre cet instrument en construction. La couleur, la texture, l’odeur, la forme du bois et tout ce qui tourne autour de son traitement (colle, vernis, sons…) autant de sensorialités qui le mettent sur la voie de l’envie ou plutôt du désir. Désir ou défi à relever, en tout cas une direction où concentrer son énergie à vivre pour oser grandir, se séparer et rencontrer. Toute colère (aussi difficile soit-elle) est toujours une manière de canaliser cette vie qui ne prend pas la tournure qu’on souhaite et d’en éprouver de la rage. Ce n’est pas que de l’angoisse ou de la frustration comme on présente souvent ces colères ou crises clastiques, quand on n’évoque pas les pulsions de mort, d’autodestruction, etc. La violence est souvent un appel à la vie. Prendre la viole d’amour, c’est prendre la vie adulte à bras le corps. Si on arrive à façonner un bois pour qu’il produise de la musique qui touche les cœurs, alors par translation, on peut prendre sa vie en main. En tout cas, l’alchimie fonctionne avec Julien. Et nous partageons avec Julien, lecteur que nous sommes, la belle issue d’un être qui a eu de la chance mais qui a su aussi la saisir.

Quant à Marianne et George, deux êtres qui savent ce qu’est la souffrance. George, probablement a-t-elle appris à apprivoiser celle des autres, à la soulager, la transformer, la bonifier et depuis longtemps. Marianne, cette souffrance lui est tombée dessus probablement lors de sa rencontre avec Léopold. Elle est donc plus démunie, plus vulnérable.

J’ai apprécié dans ce livre la place que vous donnez à la musique classique (que j’écoute quasi exclusivement depuis plus de 50 ans), la nature, le rapport simple aux choses sans grand discours, le partage discret d’émotions qui n’enlève rien à leur intensité, le rapport à l’autre à la fois proche (cette présence forte et disponible) et à distance comme pour signifier le respect que l’on accorde à l’autre.

Vous m’avez donné envie de revisiter les Vosges (où je suis allée il y a 30 ou 40 ans), déambuler dans Mirecourt pour admirer ses lutheries et humer l’ambiance de ces villages.

Votre livre est un voyage à lui seul qui en rappelle ou en appelle d’autres et l’histoire de Julien une belle leçon de vie.

Voici mon retour de lecture de votre livre dans lequel j’en dis autant de la manière dont je l’ai reçu et ce qu’il a provoqué en moi que ce que vous avez conté. C’est la force du livre de provoquer des rencontres et des partages de sensibilités.

J'espère que comme nous à Nantes, vous profitez de cette fin d'été sans canicule. Bon courage à vous pour la reprise.

Bien cordialement,

Brigitte

 Brigitte PETIT Auteure de « Pour une approche plurielle de la schizophrénie » (Ed. d’écarts coll. Diasthème) - 24 08 2022

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