à quel point les choses peuvent trahir
et surprendre la chasteté de la pensée,
tu l’as vu, tu en as douté, tu l’as connu,
à quel point les choses peuvent blesser
et leurrer la pureté intérieure,
tu l’as vu, tu l’as mesuré même par le songe.
Le réveil est le soir impétueux,
c’est ce signe d’âmes exilées,
l’hirondelle en crie la fraîcheur.
Ah, il n’est pas tard quoique la nuit menace,
tu as avant cela eu le temps de voir
à quel point les choses portent loin,
à quel point d’un seul coup elles peuvent manquer,
faire défaut à la vive vérité de l’esprit.
Les routes, si tu les parcours à cette heure, sont parsemées
de ces hommes, non, de ces larves
inquiètes qui répètent la vie déjà vécue,
vagues dans l’implacable clarté
des sentiers déjà vus et déjà parcourus,
et qui hâtent la mort pour s’ouvrir
dans l’ombre, pour se dérober au connu.
Tu en vis venir dans la nuit
une lumière minuscule surgie du fond
pour chercher accueil dans l’amour.
***
Mario Luzi (1914-2005) – Primizie del deserto (1952) – Prémices du désert (La Différence, 1994) – Traduit de l’italien par Jean-Yves Masson et Antoine Fongaro.