Le marché se mesure en milliards de dollars d'échanges annuels et il est en quelque sorte verrouillé par la nécessité pour une majorité des destinataires de collecter les sommes qui leur sont envoyées en espèces, historiquement le seul instrument universellement accepté dans les régions en voie de développement où ils habitent. Et avec un taux moyen de commissions de 6% sur ces mouvements, la facture est salée, sans parler des autres inconvénients, notamment sur les délais de traitement.
Or, comme l'a remarqué le fondateur de Pomelo avec son entourage (philippin), à la faveur, entre autres, de la crise sanitaire, l'usage de la carte s'est considérablement démocratisé, au moins dans les grandes agglomérations de ces pays émergents où elle était autrefois réservée aux touristes et aux quelques entreprises dont ils constituent la principale clientèle. Désormais, il devient possible d'y vivre sans espèces, tandis que la forte progression du commerce électronique stimule également son adoption.
Cette tendance majeure réduit drastiquement l'avantage concurrentiel des opérateurs classiques (Western Union et consorts) et ouvre naturellement des opportunités extraordinaires, même si celles-ci ne peuvent pour l'instant concerner l'ensemble des populations considérées, en particulier rurales. Pomelo, qui vient d'ouvrir son premier couloir entre les États-Unis et les Philippines, porte justement l'ambition de participer à la révolution autorisée par la modernisation technologique qui touche le monde entier.
Son idée consiste à éliminer l'opération de transfert et à la remplacer par un accès direct, contrôlé, aux fonds de l'émetteur, via un compte commun. Concrètement, le résident américain, une fois inscrit, se voit attribuer une carte à débit différé (« charge card » dans le jargon local) assortie d'une ligne de crédit (jusqu'à 1 000 dollars, selon qualification). En parallèle, il invite jusqu'à 3 personnes (aux Philippines) qui recevront aussi une carte, virtuelle (pour les paiements en ligne) et physique, adossée à la sienne.
Outre le suivi des opérations, une application mobile permet de fixer les conditions d'utilisation pour chaque participant : le montant maximal, bien sûr, mais aussi, si nécessaire, les limitations sur les achats acceptables (par exemple une exclusion sur les jeux d'argent). Le détenteur a en outre la faculté d'activer une option d'urgence, grâce à laquelle le bénéficiaire peut exceptionnellement dépasser le plafond qu'il lui a alloué. Et, dans tous les cas, il règle le solde dû, pour tous les porteurs, à chaque fin de mois.
La jeune pousse promet l'absence totale de frais sur les transactions (rien n'est dit sur le taux de change appliqué, si ce n'est qu'il serait compétitif) et affirme que son modèle économique repose sur la perception des commissions d'interchange perçues sur chaque paiement, reportant ainsi sa charge sur les marchands. Comme je l'évoquais récemment, ce principe a priori séduisant paraît difficilement viable et un surcoût pourrait être introduit à terme. Rien de comparable, toutefois, avec les pratiques en vigueur aujourd'hui.
Il faut encore ajouter à ce panorama une caractéristique extrêmement importante outre-Atlantique. En effet, le fonctionnement de la carte, assimilable à un prêt de courte durée, contribue à enrichir le score de crédit de son propriétaire, qui voit donc sa réputation croître grâce à ses envois d'argent à ses proches et peut espérer, en conséquence, accélérer son inclusion dans le système financier sans changer ses habitudes.
Contrairement au segment des virements interbancaires (où sévit Wise), celui que vise Pomelo est beaucoup moins sujet à l'innovation et à la disruption. Les quelques initiatives lancées par les spécialistes en place ont surtout pour objectif d'étendre leur périmètre d'activité mais ne touchent jamais vraiment au cœur de leur métier si lucratif. Heureusement, la transformation « digitale » commence à marquer de son empreinte les pays en développement et ouvre la voie à une remise en question du statu quo.