Une peau laiteuse presque diaphane. Des yeux pudiquement baissés tandis que la bouche vermeille esquisse une moue effrontée, répondant au corsage délacé qui laisse entrevoir un sein haut et rond. Tel est le portrait que Jean Fouquet, ami d’Agnès Sorel, favorite du roi, nous laisse de cette femme en prêtant ses traits à sa somptueuse Vierge à l’Enfant. Un tableau délicieux devenu célèbre, à l’image de son modèle, surnommé en son temps la Dame de Beauté. En cette année 2022, nous fêtons le 600eme anniversaire de la naissance de la belle Agnès ! Une belle demoiselle à la Cour d’Anjou Il faut reconnaître qu’on ne connaît pas grand-chose d’Agnès Sorel avant son arrivée à la Cour de France. On sait qu’elle est née en 1422 dans une famille noble de Picardie, fille de Jean Soreau ou Sorel et de Catherine de Maignelais. Adolescente plutôt jolie et très intelligente, Agnès bénéficie d’une excellente éducation. Assurément, elle est promise à un beau mariage ! Personne n’imagine encore l’ascension vertigineuse de celle qui va enflammer le coeur du roi Charles VII. Agnès commence sa « carrière » comme demoiselle d’honneur de Yolande d’Aragon, la vénérable mère du duc René d’Anjou qui est aussi roi de Naples, titre qui le fait entrer dans l’Histoire sous le nom de « roi René ». La riche maison d’Anjou est l’une des plus puissantes, des plus luxueuses et des plus en avance sur son temps. Elle est bien plus fastueuse que la Cour de France. Le roi René ne lésine pas sur la dépense pour organiser fêtes et tournois mémorables. Il s’érige aussi en mécène de première importance, à la fois curieux, original et généreux. Pensionnant les peintres et les orfèvres, il s’entoure de savants et d’hommes de lettres. Sous la surveillance de Yolande d’Aragon, cette femme pourvue d’une âme virile et d’un esprit délié, considérée par ses contemporains comme l’une des plus belles femmes de la chrétienté, Agnès Sorel passe plusieurs années à côtoyer la haute aristocratie angevine. École formatrice pour la jeune fille qui bénéficie d’une immersion culturelle et mondaine d’exception. Gracieuse et élégante, de tempérament stable, doux et sensé, elle est recherchée pour sa compagnie agréable. Le coup de foudre de Charles VII Agnès devient probablement demoiselle d’honneur d’Isabelle de Lorraine, épouse du roi René, à la mort de sa protectrice Yolande d’Aragon en 1442. Elle fait en tout cas partie de la maison d’Isabelle lorsqu’elle rencontre le roi de France pour la première fois. Un voile de mystère entoure encore cette rencontre. Était-ce en 1442 ? 1443 ? À quel endroit ? Les historiens n’en savent rien. En tout cas, les deux Cours sont liées. Charles VII a épousé Marie d’Anjou, une soeur du roi René. Agnès doit d’abord être assez décontenancée par l’apparence peu avenante du roi de France. Charles VII n’a rien d’un Don Juan. Fils d’un roi fou, Charles VI, et d’une mère peu aimante, Isabeau de Bavière, le monarque n’a guère confiance en lui. En plus de cela, son apparence est plutôt repoussante : un nez long et gros sur le bout, un visage maussade et un corps mal proportionné… Mais son maintien est noble et gracieux, sa conversation avenante, ses manières délicates. Ce qu’il y a de certain, c’est que Charles VII éprouve pour Agnès Sorel un amour profond et instantané. En somme, c’est un coup de foudre. D’abord séduit par sa beauté, il est définitivement conquis par son esprit brillant. Une taille haute, libre et dégagée, et des traits parfaitement réguliers, n’étaient pas ce qui plaisait le plus dans la belle Agnès. Son visage était toujours animé d’une douce gaieté, qui en inspirait à tous ceux qui la voyaient. Ses yeux brillaient d’un feu que la pudeur pouvait avouer. Sa démarche était noble et aisée, et sa conversation si fort au-dessus de la façon dont les femmes s’exprimaient alors, qu’on la regardait à cet égard comme un prodige. Observations sur les écrits modernes – 1 janvier 1739 Depuis qu’il a été mené au sacre par Jeanne d’Arc en 1429, le roi a pris un peu confiance en lui et s’affirme davantage. Il ose prendre des décisions lui-même, dans les affaires du royaume comme dans sa vie privée. Ne perdant pas un instant, il négocie le transfert d’Agnès dans la maison de sa propre épouse Marie d’Anjou. La nouvelle demoiselle d’honneur de la reine de France n’est pas stupide : elle ne cède pas tout de suite à ses avances. Il faut à Charles VII des attentions réitérées pour parvenir à ses fins. Il semble qu’Agnès n’attende pas trop longtemps non plus car la première fille du couple, Marie, naît sans doute à la fin de l’année 1443 ! Ce n’est néanmoins que le 24 mai 1444 que le roi affiche publiquement sa nouvelle conquête : Agnès participe à ses côtés aux festivités de la conférence de Montilz-les-Tours qui établit une trêve de plusieurs années entre la France et l’Angleterre. Sa faveur qui devient bientôt éclatante. Une position officielle aux côtés du roi Pendant plus de sept ans, Agnès Sorel et Charles VII vivent une véritable histoire d’amour. Loin de se résoudre à partager la couche d’un homme disgracieux par pure ambition, la nouvelle maîtresse royale se prend d’affection pour son amant. Touchée par sa personnalité généreuse, elle lui rend l’amour qu’il lui porte en lui témoignant fidélité, affection et dévotion. Pour la remercier de cette constance à laquelle il n’est pas habitué, Charles VII accorde à sa chère Agnès une place jamais obtenue par une femme auprès d’un roi : une situation publique officielle. Pour la première fois dans l’Histoire, une maîtresse royale obtient les mêmes honneurs et vit dans le même faste que si elle était son épouse légitime ! Devenue favorite officielle en 1444, Agnès apparaît désormais régulièrement dans les chroniques. Son statut surprend, voire dérange. On dénonce souvent son train royal qui éclipse avec impertinence celui de Marie d’Anjou. Le chroniqueur Georges Chastellain se scandalise que la maîtresse royale puisse avoir les « plus beaux parements de lit, meilleure tapisserie, meilleur linge et couvertures, meilleure vaisselle, meilleures bagues et joyaux, meilleure cuisine et meilleur tout » ! Et que dire de la situation de cette pauvre reine et épouse, Marie d’Anjou, qui doit souffrir d’avoir cette intruse à sa table et faire mine de s’en réjouir ? Pourtant, la discrète épouse de Charles VII ne manifestera jamais aucune animosité à l’égard d’Agnès Sorel. Elles entretiennent même d’excellents rapports. Peut-être est-elle soulagée, après avoir donné douze enfants à son époux, de le voir occupé avec une autre femme ? Enfin un peu de répit ! Toujours est-il que la belle Agnès est élevée par son royal amant « en tel triomphe et tel pouvoir que son état était à comparer aux grandes princesses du royaume » commente Olivier de La Marche dans ses Mémoires. Elle s’installe dans les demeures royales officielles, notamment à Loches où elle réside dans une Tour communiquant avec la chambre de Charles VII par un couloir débouchant sur une porte aujourd’hui murée. Après la petite Marie née en 1443, Charlotte voit le jour l’année suivante puis Jeanne complète en 1445 ce trio de « bâtardes » toutes reconnues princesses de Valois et richement dotées par leur géniteur. Elle feront toutes de beaux mariages. Par sa cadette Charlotte de Valois qui épousera Jacques de Brézé, Agnès Sorel est l’ancêtre de nombreuses grandes figures historiques, notamment Diane de Poitiers, favorite du roi Henri II, ainsi que de princes et princesses des maisons royales d’Espagne, de Roumanie, d’Italie, de Bourbon-Parme… Il y a des descendants d’Agnès Sorel et Charles VII dans vingt-trois familles de têtes couronnées d’Europe ! Agnès reine de la mode Les contemporains saluent, à l’unanimité, la beauté d’Agnès Sorel. « C’était une des plus belles femmes que je vis jamais » concède Olivier de La Marche tandis que Jean Chartier, certes historiographe du roi mais pas toujours tendre à l’égard d’Agnès, affirme « que entre les belles c’était la plus jeune et la plus belle du monde ». La mode n’a pas attendu Agnès pour pousser les femmes à des excès en tout genre. Sous le règne de Charles VI, on aime étaler sa richesse avec excès. Au luxe des demeures royales et princières répondent la somptuosité de la table et l’éclat des toilettes, le tout dans l’extravagance la plus désordonnée. Les femmes de la Cour sont couvertes de pierreries, ornées, étincelantes comme des statues ou des poupées. Agnès Sorel, et Charles VII – François-Frédéric Steenackers L’opulence, qui éclipse l’élégance, charge les femmes plus qu’elle ne les pare. Quand elles n’ont pas les épaules et les seins dénudés ! Car contrairement à ce qui est souvent avancé, ce n’est pas à Agnès que l’on doit les « gorges découvertes. » Peut-être a-t-elle bien « les plus beaux seins du monde » mais ce ne sont pas les premiers à apparaître en public… Le poète Eustache Deschamp parle des « grêles corps, gros culs et poitrines » qui se baladent à la Cour d’Isabeau de Bavière, et des têtes écrasées par le hennin, cette coiffe gigantesque qui oblige les femmes à se baisser pour passer les portes. Agnès est cependant bien à l’origine d’une fashion revolution : elle apporte du goût dans le luxe, de la grâce dans la fantaisie. Elle mêle avec génie des robes « inspirées du vestiaire des femmes du peuple » offrant un corsage nonchalamment délacé, avec des traînes « plus longues qu’aucune autre princesse » et bordées de fourrure de zibeline. De quoi mettre en valeur ses épaules et sa taille étroite. Personne à la Cour ne peut espérer égaler l’art de se parer à la Agnès. Ne sélectionnant que des étoffes de qualité pour constituer son impressionnante garde-robe, Agnès Sorel devient la meilleure cliente du célèbre Jacques Coeur, conseiller et argentier (trésorier) du roi. Négociant et commerçant de génie, Jacques soumet à la convoitise d’Agnès les plus beaux tissus rapportés de ses expéditions lointaines, notamment de ses comptoirs d’Égypte. Soies d’Orient de toutes les couleurs, fourrures rares, draps d’or délicats… Il y a toujours de quoi satisfaire la fantaisie de la favorite royale. Si Agnès aime parer son cou de « colliers d’or et de pierreries », elle est surtout la première à arborer des diamants taillés, autrefois associés à la virilité guerrière et donc réservés aux hommes. Piquées dans ses coiffes, ces pierres précieuses parachèvent avec élégance ses tenues. Des coquetteries qui coûtent une fortune ! Lorsque Charles VII rachète les diamants d’Agnès après sa mort, il doit débourser plus 60 000 livres. L’historien Pascal Arnoux offre une comparaison : l’entretien, l’armement et le paiement de la solde d’une armée de 20 000 hommes coûtent environ 700 000 livres. Fidèle à la mode du temps, Agnès se fait épiler les sourcils ainsi que la racine des cheveux pour arborer un front haut jugé plus esthétique. Ses astuces et ses rituels-beauté sont d’une précision remarquable : Chaque matin, une suivante triture dans un mortier le masque qu’elle appliquera avant de se maquiller : un mélange de cervelle de sanglier, de fiente de chèvre, de bave d’escargot, d’œillets rouges, de quelques vers de terre, sans oublier bien sûr un peu de sang de loup. Voilà de quoi nourrir son teint et donner à sa peau un velouté qui résistera au temps. Pour conserver l’éclat de son visage, elle utilisera du miel pur en masque, juste avant de se mettre au lit. Mais la vraie recette de sa beauté, celle qu’elle gardera secrète jusqu’à sa mort, c’est une huile exquise pour adoucir la peau : dans un litre de crème, il faut jeter des fleurs de nénuphar, de fève et de rose, puis faire chauffer le tout au bain-marie. Petite histoire du maquillage – Lydia Ben Ytzhak C’est Jacques Coeur qui lui aurait rapporté d’Orient cette recette parfaite donnant une pâte onctueuse à laisser poser sur le visage ! 👉 Un article qui pourrait vous plaire : la mode des mouches sous l’Ancien Régime ou encore la mode...
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