C’est d’abord de rêves qu’est fait ce livre. Et, peu à peu, nous y abordons à l’essence de la vie, à la mort. Mais c’est toujours en nous que les vivants que nous avons connus viennent : ils ne sont pas partis. Ils sont assis au bord de nos paupières, à l’intérieur. Parfois ils nous font peur. Parfois ils nous font rire. Parfois ils se cachent. Parfois ils sont nus. Mais toujours présents, prêts à nous dire quelque chose qu’on ne comprend pas tout de suite.
Voici un des textes de ce recueil de Marie Étienne.
De la chambre enfoncée où je me suis terrée à la place qui s’étend largement devant moi, de l’obscur au plein jour, du singulier au collectif, le parcours évolue.
Pendant que je médite, prends soin de mon enfant, réponds à un ami, enjambe mes cartons, pendant que je m’extirpe, enfin, de mon réduit, la scène sous mes yeux se charge et s’alourdit de tout ce qui, au loin, advient.
Dans l’espace qui s’étend devant moi, des corps se cachent ou rampent, son mitan est désert, surmonté de fumée, comme trop exposé au feu des combattants, son sol est encombré de carcasses, de décombres, et son jour parcouru de lueurs meurtrières.
Je comprends que je suis sur la place Tian’anmen ou sur la place Tahrir, tout endroit qui unit, dans un élan commun, les foules dont nous sommes.