Tbilissi : De la route de la soie à celle du pétrole...

Publié le 12 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Mardi, 12 Août 2008 17:41 Une lourde facture économique pour la Géorgie et de nouvelles incertitudes pour l'Union européenne
Par William PETITJEAN

Une odeur de pétrole et de gaz ? C'est évident... Une odeur d'euros et de dollars, aussi. L'actuelle guerre du Caucase risque d'avoir de sérieuses conséquences pour l'Union européenne et pour la Géorgie. Tbilissi a connu une période de prospérité en étant sur la route (nord) de la soie (la cuisine géorgienne en est encore imprégnée). Son avenir reposait en partie sur la route du pétrole. Attention danger ! C'est le tracé des nouvelles routes du gaz et du pétrole est au cœur de ce conflit plus prévisible que nombre d'experts veulent le dire...

Tbilissi la nuit (Wikipédia)

Le contexte: Quelques rappels 
>>>Possédant les plus grandes réserves mondiales de gaz (27 % du total), la Russie assure 40 % des importations européennes.
>>>La dépendance européenne croissante au gaz russe toutefois largement d'un pays à l'autre (Allemagne 43 %, France 26 %, Italie 30 %, et de presque 85 à 100 % pour certains des nouveaux Etats membres). Moscou joue habilement de ce facteur qui entrave une politique énergétique commune des pays de l'Union européenne.
>>> La Russie a programmé un redéploiement de son réseau de distribution gazier à destination de l'Europe. Le gazoduc Northstream (partenariat Gazprom-BASF-Ruhrgaz) reliera la Russie à l'Allemagne par la mer Baltique en évitant ainsi les Etats baltes et la Pologne. Le gazoduc Southstream, auquel participe le géant italien ENI, traversera la mer Noire pour atteindre la Bulgarie et se scinder en deux tronçons. C'est une riposte directe au projet euro-américain Nabucco, qui partirait d'Erzurum (Turquie), en communication avec les gazoducs de Géorgie et d'Iran, vers la Bulgarie et l'Europe centrale. Ces deux itinéraires maritimes enclaveraient en même temps l'Ukraine, noeud de l'ancien réseau de distribution soviétique, afin de peser sur les tentations atlantistes de Kiev.
Trois constats après l'explosion géorgienne actuelle :
1) La Géorgie (qui ne produit pas de pétrole) se voulait une voie privilégiée pour le transit de gaz et pétrole. Cette position clef pour le transfert des hydrocarbures de la mer Caspienne vers l'ouest se trouve aujourd'hui menacée. Pour cause d'insécurité et de baisse de crédibilité.Les compagnies énergétiques occidentales qui avaient misé sur ce pays pro-occidental, situé entre l'Iran et le monopole des oléoducs/gazoducs russes, pour développer les exportations d'hydrocarbures extraits d'Azerbaïdjan, au bord de la mer Caspienne, et du Kazakhastan ont-elles mal misé ? Les perspectives étaient pourtant bonnes...En 2003, la production des pays de la Caspienne (exceptés l'Iran et la Russie) s'élevait entre 1,5 et 1,7 million de barils par jour.
2) Les Occidentaux s'inquiètent particulièrement pour la sécurité de l'oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), construit pour plus de 3 milliards de dollars par une douzaine de partenaires. Le BTC, long de 1.774 km, a une capacité de 1,2 million de barils par jour. C'est la pièce maîtresse du "corridor énergétique est-ouest" qui permet d'éviter soigneusement la Russie. De plus le bombardement de l'état-major russe, samedi 9 août, sur les installations portuaires de la ville côtière de Poti, haute place de transit de matières premières, a poussé l'Azerbaïdjan à annoncer la suspension de ses exportations de pétrole via les ports géorgiens de Koulevi et Batoumi.
3) Le projet Nabucco entre la Mer Caspienne et l'UE peut-il être remis en cause ? il est trop tôt pour le dire. Mais la question est posée. Une autre solution serait de passer par l'Arménie. Mais là encore, les tensions séparatistes font peser un risque d'instabilité, avec l'enclave arménienne du Nagorno-Karabakh en Azerbaïdjan. Si la Russie met la main sur une partie de la Géorgie, comme cela risque de se passer, il est possible que Moscou contrôle une partie de l'acheminement du gaz qui proviendrait de Nabucco. Au travers de ce conflit, la Russie peut donc acquérir une mainmise quasi-totale sur la route du gaz dans la région. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir, notamment en termes de moyens de pressions politiques.
Pas de panique, pour l'heure. D'ailleurs, ces événements n'ont pas occasionné de grands troubles sur les marchés du pétrole, actuellement à la baisse (légère). Mais, c'est l'avenir à moyen et à long terme qui se joue. D'où l'urgence de mettre enfin sur pieds une vraie stratégie européenne de l'énergie et un géopolitique digne de ce nom vis-à-vis de la Russie
En Géorgie même, cette guerre va occasionner une addition lourde à payer. Dans une situation qui n'est déjà pas très bonne...Certes, les réformes mises en œuvre depuis 2004, notamment dans le domaine fiscal, commençaient à produire leurs effets : le climat économique s'est amélioré et la croissance a dépassé les 10% en 2006.
Nous reprenons ici des données diffusées sur le site du Quai d'Orsay.
« La forte augmentation de la collecte fiscale a permis d'augmenter les revenus budgétaires (de 14,5% du PIB en 2003 à 23,4% en 2005) et de développer la capacité d'intervention de l'Etat géorgien dans le domaine social et les infrastructures. L'investissement public est ainsi passé de 2,4% du PIB en 2004 à 4,2% en 2005.
La Géorgie a bénéficié ainsi d'une appréciation très positive des institutions financières internationales, la Banque Mondiale classant ce pays parmi les meilleurs réformateurs en 2006. La simplification des procédures, la relance des privatisations et la consolidation du système bancaire ont conduit à une forte hausse des IDE au cours des derniers mois. L'économie géorgienne reste cependant fragile, notamment du fait d'un déséquilibre structurel de ses comptes extérieurs, aggravé depuis le printemps 2006 par l'embargo russe sur les eaux minérales, les fruits et les vins géorgiens, même si le FMI évalue l'impact économique de cet embargo à seulement 0,5% du PIB. »
La mise en service de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum devraient cependant accroître les recettes en devises (droits de transit) et permettre à la Géorgie de diversifier ses approvisionnements énergétiques, et, par conséquent, de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie dans ce domaine. Mais nous venons de voir qu'il faut aujourd'hui se méfier d'espérances trop grandes...
Autre handicap : la Géorgie demeure trop dépendante du secteur agricole (30% du PIB) et des services. Et tout ce qui a été mis dans des dépenses militaires, avec l'aide américaine, aurait pu servir davantage l'économie si le régime avait eu d'autres priorités. Le Petit Poucet s'est vu Géant: la mégalomanie coute chère...Malgré une croissance ininterrompue à partir de 1995, plus de la moitié de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté. Et les mesures destinées à lutter contre la corruption tardent pour leur part à produire leurs effets ; la Géorgie occupait encore en 2006 le 130ème rang du classement effectué par l'ONG Transparency International.

Un classement indigne des valeurs que le Président géorgien prétend défendre...Avec des effets très pervers sur le développement économique et social:la corruption et les mafias ne contribuent jamais à plus de justice sociale et à davantage de prospérité partagée. En plus, ils freinent bien des élans d'investisseurs...La Géorgie est un pays trop beau et trop riche de potentialités pour qu'elle ne mise pas davantage sur son propre développement plutôt que sur la satisfactions d'aspirations nationalistes.

William PETITJEAN


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