C'est Jules Verne qu'on assassine !

Par Savatier

Si le ridicule tuait, la chronique nécrologique hollywoodienne se serait enrichie depuis la mi-juillet de quatre notices supplémentaires, à l’occasion de la sortie en salle du film Voyage au centre de la terre 3D : celles d’Eric Brevig, le réalisateur (qui supervisa les effets spéciaux, notamment, de Pearl Harbour, Wild Wild West et Snake eye), ainsi que des trois scénaristes, Michael Weiss, Marc Levin et Jennifer Flackett (scénariste de Little Manhattan, réalisé par le précédent dont elle est l’épouse).

Voyage au centre de la terre 3D est d’abord l’histoire d’une occasion ratée : la technologie « 3 dimensions » de dernière génération (Fusion system), utilisée pour la première fois au cinéma, aurait mérité de servir un film de qualité. Hélas, tel n’est pas le cas de ce nanar qui se prétend, sans rire, une adaptation du beau roman de Jules Verne.

Transposée au XXIe siècle, l’histoire prend de telles libertés avec le livre qu’elle n’a plus guère de commun avec lui que le titre. Des scènes entières issues de l’imagination de l’écrivain ont disparu, tout comme les héros originaux et l’intrigue qui laisse place aux seuls effets spéciaux, à tel point que le spectateur se croirait transporté dans une sorte de Luna Parc ou de train fantôme, revu et corrigé pour une console de jeux vidéo. Les invraisemblances dans le scénario se succèdent à un rythme soutenu, l’humour infantile agace autant que les dialogues convenus et navrants ; cerise sur le gâteau, le réalisateur n’hésite devant aucun poncif, notamment en ressortant un bon vieux tyrannosaure qui n’effraie pourtant plus guère depuis les trois épisodes de Jurassic Park.

Les trois scénaristes (Michel Audiard aurait dit qu’on frise ici l’association de malfaiteurs…) ont réussi cette gageure de rendre débilitant un récit qui, chez Jules Verne, tient le lecteur en haleine d’un chapitre à l’autre. De sorte que, lorsqu’après une chute, Bredan Fraser (La Momie) dit à ses compagnons : « J’ai touché le fond », on croirait volontiers qu’il fait allusion à sa propre participation au tournage. On peut réaliser un film destiné à un public familial sans pour autant céder à la vulgarité ou à la mièvrerie, ni considérer que son audience est composée d’imbéciles ; sauf peut-être à tenter un simple « coup marketing ». Beaucoup, sans doute, préfèreront donc la version réalisée en 1959 par Henry Levin, avec James Mason, qui, bien qu’ancienne, demeure la référence cinématographique du genre.

Par ailleurs, on se demande pourquoi le réalisateur ne s’est pas entouré d’un spécialiste de l’Islande dans son équipe. Cela aurait évité quelques erreurs, dont l’une trahit la légèreté (ou d’inculture) des scénaristes : l’accorte guide locale qui conduit les héros dans leur voyage porte le doux nom de Hannah Asgeirsson. Or, en Islande, le nom patronymique obéit à une règle spécifique : il se compose du prénom du père (plus rarement de la mère), suivi de « son » (fils de) pour les garçons ou de « dóttir » (fille de) pour les filles. L’héroïne aurait donc dû s’appeler Hannah Asgeirsdóttir. Cela peut paraître un détail sans importance, il n’en porte pas moins sur la qualité de la personne et prouve une absence de maîtrise du sujet. On s’étonnera toutefois que l’actrice qui joue le rôle d’Hannah, Anita Briem, née et élevée en Islande, n’ait pas fait corriger cette bourde.

Pour la moitié du prix d’une place de cinéma, on peut se procurer le roman de Jules Verne en édition de poche. Les bibliophiles lui préféreront sans doute l’édition Hetzel de 1864 (rééditée par Hachette jusqu’au cœur du XXe siècle), illustrée de 56 superbes gravures d’Edouard Riou, qui reflètent bien la dimension fantastique du récit. Dans tous les cas de figure, cette lecture est nettement plus agréable que le visionnage du film. Chacun peut se plonger dans un récit qui fait toujours, dans une belle langue, rêver les petits et les grands. Je me rappelle avoir relu ce texte, il y a quelques années, lors d’un séjour à Reykjavik. De la fenêtre de ma chambre, je pouvais apercevoir au loin la silhouette du Snæfellsjökull, le volcan dans le cratère duquel Jules Verne situe l’entrée qui mène au centre de la terre. Un souvenir autrement plus sympathique que le film d’Eric Brevig, en 3D, mais sans relief.

Illustrations : Jules Verne - Voyage au centre de la terre, page de titre de l’édition Hetzel - Gravure de Riou - Le Snæfellsjökull