Kaïros est un météore qui dure, de 00h43 à 23h57, de la page 10 à la page 67 de ce petit volume, et qui éclaire encore, une fois le recueil refermé. Pas une lumière douce, pas un éclairage « d’ambiance », non, des éclats à répétition qui vous strient le nerf optique et toute votre zone de perception poétique, des déchirements venus du fond de l’espace, du fond d’un corps malmené :
éventrez-moi de quelque chose
déterrez la lumière
tout en reconnaissant à la ligne suivante l’absurdité de la quête :
quelqu’un marche
tout le jour dans mon ombre
sans me reconnaître.
Pour toucher à de telles brillances, il faut se faire mal, ne rien épargner de soi, ni des autres, ni du dieu problématique qui se glisse ici ou là entre les autres absences, et ne pas craindre la noirceur. C’est d’elle que Nathanaëlle Quoirez tire les images qui nous collent au mur, suffoquant sous les volées visant au cœur, pris à la gorge par l’audace de ses requêtes :
faites-moi luire
comme un pope dans la ville
et nous toujours en demandant plus de son exigence de lumière à elle.
Toute la lumière ne se dispense cependant pas à tels jets somptuaires et brutaux, il y a aussi la possibilité que dans un autre temps, postérieur à Kaïros, Nathanaëlle Quoirez donne sa chance à un monde de l’apaisement possible :
21h38
je mettrai toute l’énergie de mon règne
à me savoir conçue
me donnerai corps immobile dans la soupente
par effacement
sache que je vais tout reprendre
mucus à ta bouche
œil pour œil dans le dernier baiser
ta salamandre
celle qui grimpait contre le mur facilité
de ma maison
je vais définitivement piéger l’azur.
(p. 56)
C’est un projet auquel le lecteur peut adhérer comme un risque poétique nécessaire.
Arnoldo Feuer
Nathanaëlle Quoirez, Kaïros, Polder 194 Décharge / Gros Textes, 2022, 70 p., 6€