Brûler ses vaisseaux

Publié le 28 juillet 2022 par Alexcessif

Brûler ses vaisseaux

J’avais la soixantaine bien tapée toujours pas de panneaux solaires plus que 9% de batterie mais j’espérais avoir un Dyson un jour. C’est comme la Rolex de Séguéla, une forme ménagère de l’ambition en attendant la réussite.

Le galion espagnol immense comme un immeuble est à touch’touch avec la coque de noix qui lui gratte les flancs, tellement bassesur la houle au large de l’île de la Tortue que les bouches à feu crachant la mort ont emporté mâts et voilure mais pas les têtes des flibustiers. Les pouilleux à bord, dénutris, armés de sabres de bois et de rapières ébréchées entre les dents hésitent à grimper aux cordes tenues par leurs mains décharnés. A l’abordage ! En haut les attendent de l’or à ras la gueule, de la bouffe, du rhum avec la soldatesque et les mousquets entre eux et le butin. Yapluka !

Barbe noire fait pivoter la seule bombarde du bord et tire le dernier boulet dans le fond de la barcasse. La mer des Caraïbes s’invite à bord « Voilà qui va vous donner du cœur au ventre, moussaillons ! » Un leader maximo, le barbu, un qui motive ! Il leur a vendu des promesses de ripaille ou de mort, du Nutella, de la viande rouge,les jupons offusqués des duègnes et des princesses pâmées. Les bidasses à boutons dorés et perruques poudrées en pleine digestion n’auront pas le temps de recharger les pétoires avant d’être éventrés par les morts de faim. Après, il n’y aura qu’à choisir selon les priorités de chacun, la dentelle froissée ou la bouffe promise.

Il faut brûler ses vaisseaux afin de ne pas être tenté par la marche arrière

Bon, nous sommes dans le film de Polanski, « Pirates »et au cinéma mais dans la vraie vie c’est virtuellement pareil !

J’ai pris une bière à Montparnasse et lâché de la menue monnaie dans la sébile du crevard à l’angle de la rue de la Gaité et de l’avenue du Maine. Il a un coup d’avance. Luisait où dormir ce soir, pas moi ! Six kilos de fringues dans une valise cabine en remorque d’une main, l’autre se rassure en comptant dans la poche le cash de la vente de la bagnole quasi cramé par l’achat de rollers, va falloir être créatif.

Paris et autres mégapoles regorgent de mecs qui ont décidé de s’asseoir par terre et de tendre la main. Dans cette course à la subsistance, la concurrence est rude cour des miracles. Certains s’allongent en haillons sur un grabat, d’autres vont pieds nus, les pros laissent entrevoir une cicatrice. Une infirmité, une amputation, c’est bien aussi. Dans cette compète de crados, les bacs L ont griffonné quelques mots sur un carton affiché autour du cou, d’autres roupillent dans un froc plein de pisse prés d’une assiette en carton vide et muette laissantle chalandperplexe sur la requête d’un pantalon propre ou d’un ticket resto. Les stratègesémettent un "Bonjour …"aimable et payant. Le statisticien sait que tous les cent "bonjour" une poche s’entrouvre. La psychologie de la culpabilité dans le mental faiblard du smicard à l’entrée du métro à la vue du Syrien banni a été mise à jour par l’Ukrainien envahi. Un drapeau jaune et bleu suffit là où il fallait mettre sa famille sur une couverture. L’empathie envers le blond d’Europe émeut l’automobiliste oublieux du roumain qui dégueulassait son pare-brise six mois plus tôt. L’afghan fout la trouille. BFMrapporte des histoires de fillettes violées pour cause dechevelure sans foulard et t’as pas envie de financer le terrorisme d’une peuplade où le sourire d’une enfant vaut consentement sexuel.

Bref, s’asseoir par terre comm’ça sur le trottoir d’à cotééé éhé ne me tentait pas des masses !

Pas assez de culot, batterie à 5% et, surtout, j’avais mon précieux, l’atout trèfle sur le carreau qui pique mon cœur, mon manuscrit "Fin de chantier" dans la valoche et, surtout, surtout, un sac trouvé dans la forêt

Mais ça, c’est une tout autre histoire …

La nuit je dors debout 
Dans mon téléphone tu sais j'entends la mer
Y'a pas le soleil dans ma télé blanche et noire
Alors pourquoi pas s'asseoirTu verras bien qu'un beau matin fatigué
J'irai m'asseoir sur le trottoir d'à côté
Tu verras bien qu'il n'y aura pas que moi
Assis par terre comme çaTu verras bien qu'un beau matin fatigué
J'irai m'asseoir sur le trottoir d'à côté
Tu verras bien qu'il n'y aura pas que moi
Assis par terre comme ça