Critique de Seuil, de Marilyn Mattei, vu le 19 juillet à 10h au Théâtre du Train Bleu
Avec Baptiste Dupuy et Camille Soulerin, mis en scène par Pierre Cuq
Faire sa programmation pour Avignon, c’est un peu un jeu de proche en proche. Il y a des noms connus, des artistes qu’on a déjà croisés, qui sont liés à un bon souvenir théâtral. Alors, même si c’était en tant qu’acteur et que c’est pour les retrouver en tant que metteur en scène, on tente l’aventure. C’est le cas pour Seuil, mis en scène par Pierre Cuq, que j’avais découvert en tant que comédien dans L’Aiglon au début de la saison dernière. Le titre ne me parle pas, j’ai à peine jeté un coup d’oeil au résumé de la pièce, mais j’ai eu envie de faire confiance. Bien m’en a pris.
Pas facile de savoir ce qui se cache derrière ce titre. Seuil. Je n’y serais peut-être pas allée le coeur aussi léger si j’avais su. Elle se présente comme une enquête : on remonte l’histoire pour comprendre pourquoi le jeune Matteo a laissé un message inquiétant sur les réseaux sociaux. Et, pour ça, on va suivre l’arrivée à l’internat de Noa, un ami d’enfance de Matteo. On va découvrir son passé de harcelé, son entrée dans la chambre 109, son envie de faire partie du groupe, ses différentes tentatives pour l’intégrer. Et son évolution nécessaire pour en être.
Seuil est une pièce qui évoque une certaine forme de harcèlement scolaire, mais pas que. Elle aborde cette jungle qu’est le collège, avec ses règles tacites, décrivant ceux qui font la loi, aux traits si reconnaissables, et ceux qui la subissent, tout aussi identifiables. Je pense que chacun y voit un peu midi à sa porte selon ses souvenirs du collège. Moi qui ai tant haï cet endroit, qui ai analysé les règles du jeu pour mieux pouvoir les transgresser, j’y ai vu ces jeux de pouvoir, ces tests qu’on se fait passer entre adolescents pour mieux se jauger. Mais il y a aussi quelque chose de plus spécifiquement masculin, de ces normes viriles qu’on impose aux garçons pour qu’ils fassent leurs preuves, pour montrer qu’ils sont de vrais hommes. Bref, Seuil est spectacle puissant qui fait remonter des choses pas toujours agréables.
Ce n’est pas le premier spectacle que je vois sur le sujet, mais c’est sans doute le premier qui me convainc parfaitement. Il fait passer la théâtralité avant le message, et c’est comme ça qu’il est, à mon avis, le plus fort. Dramaturgiquement, c’est très réussi. On sent chez Pierre Cuq une vraie sensibilité à l’atmosphère, il veut créer un cadre dans lequel évolueront les comédiens. Il n’y a pourtant pas grand chose sur scène, mais tout apparaît. Le spectacle se déroule dans un établissement de la MAIF, la salle est aménagée comme une salle de classe, en bifrontal, et ça fonctionne très bien : la mise en scène maîtrise à merveille l’art des déplacements, s’autorise des montées en tension très rapide, rend captif le public en l’impliquant malgré lui dans le spectacle, comme lorsque tous ces regards sur notre protagoniste, Noa, se font soudain lourds de sens.
Pierre Cuq a également su diriger ses acteurs à la perfection. Leurs compositions se jouent dans les tripes. Ils nous font revivre la cour d’école dans ce qu’elle a de plus féroce, avec cette fureur propre à l’adolescence, cette rage qui monte et qu’on ne contrôle pas. Dans les rares moments de liberté aussi, ils donnent à voir la jeunesse, avec cette insouciance et ce lâcher-prise si intense quand ils éclatent au grand jour.
Baptiste Dupuy, qui incarne Noa, a le mal-être chevillé au corps, et son évolution se joue dans les détails. C’est l’attitude qui change, mais la transformation est quasiment physique. C’est impressionnant. Camille Soulerin, qui incarne quatre personnages, m’a littéralement clouée sur ma chaise. Cette comédienne a une présence, une autorité sur scène, qu’elle utilise différemment selon les personnages qu’elle incarne, le plus marquant étant celui de Boris, le camarade de la chambre 109. Il est simplement effrayant ; c’est de lui que vient la violence qui s’invite sur le plateau, et, progressivement, prend toute la place.
Un spectacle saisissant.
© Alban van Wassenhove