Swâmiji comparait les désirs à des créanciers : tant qu'on ne les a pas remboursés, ils réclament leur dû; dès qu'ils ont été remboursés, on n'entend plus parler d'eux. Il faut parvenir à ce que les désirs, qui ont été si puissants pour nous et dont le non-accomplissement représentait une telle souffrance, nous laissent tranquilles. La page est tournée, nous n'avons plus besoin de ce qu'ils exigeaient, de même que nos désirs d'enfant, poupée, train électrique ou patins à roulettes, ne nous travaillent plus aujourd'hui.
Comment, à quelles conditions? D'abord avant de me lancer dans l'accomplissement d'un désir, quel qu'il soit, je le regarde, j'essaie de comprendre pourquoi il revêt une telle intensité et ce qui lui est sous-jacent. D'où provient son caractère impérieux, quelle est la motivation réelle cachée à l'arrière-plan : un besoin de revanche, un point à marquer pour impressionner quelqu'un? Qu'est-ce que j'attends vraiment et quelles vont en être les conséquences éventuelles? Il ne s'agit pas de penser irréalistement, de sombrer dans l'inquiétude ou de s'enthousiasmer sans raison, mais de prévoir : voilà les conséquences possibles, est-ce que je suis prêt à les assumer? Avec quelle naïveté nous pouvons nous lancer dans une entreprise et ensuite nous désespérer parce que les choses ne se passent pas comme nous l'avions espéré ou plutôt rêvé. Alors nous maudissons le ciel, la terre, nos parents, notre destin au lieu d'incriminer notre impulsivité et notre manque de lucidité. « C'est la faute de mes enfants, de mon métier, de ma femme, du poids de la vie, j'avais tout pour réussir mais je n'ai pas pu. » Voilà les mensonges dans lesquels le mental se complaît. Nous pouvons aussi examiner l'autre aspect, l'envers de la médaille, si je puis dire, la peur de souffrir : qu'y aurait-il de si terrible à ce que ce désir ne soit pas accompli? Qui suis-je vraiment pour avoir ces besoins, pour avoir ces peurs? Qui est comblé, qui est brisé par l'opposé, à savoir l'échec? Voyez quelle démarche de rigueur, de compréhension cela suppose.
Enfin, j'essaie de comprendre ce que ce désir représente dans l'ensemble de mon destin d'homme ou de femme et dans l'ensemble de mon existence actuelle. Ne partez pas dans l'accomplissement du désir comme un taureau qui fonce sur la cape rouge du matador. Tout désir doit être situé dans un contexte. Le mental fonctionne comme un téléobjectif : il isole un détail de l'ensemble et ne voit plus qu'une chose, par exemple l'objet momentané d'une certaine fascination, et tous les autres paramètres de votre existence, de votre réalité totale, passent au second plan ou sont carrément oblitérés. C'est véritablement le doigt qui cache la forêt. Donc, pour reprendre l'image des objectifs photographiques, le mental fait le zoom avant, attiré, hypnotisé par un détail, tandis que la buddhi fait le zoom arrière, revient au grand angle, opère le recul nécessaire pour replacer ce désir dans la globalité de votre existence. Il n'y a pas d'accomplissement conscient du désir si vous n'avez pas l'honnêteté de voir tous les aspects de la réalité à l'intérieur de laquelle ce désir et son accomplissement possible peuvent s'insérer – même ceux que, momentanément, nous préférerions oublier.
La Voie et ses pièges de Arnaud Desjardins******