Critique de La Tempête de Shakespeare, vu le 18 juillet 2022 à l’Opéra-Théâtre d’Avignon
Avec Fabio Barone, Andrea Castellano, Vincenzo Del Prete, Massimiliano Donato, Paolo Madonna, Jared McNeill, Chiara Michelini, Maria Irene Minelli, Valerio Pietrovita, Massimiliano Poli, Marco Sgrosso, Bruno Stori, traduction, adaptation et mise en scène d’Alessandro Serra – spectacle en italien
Par Complice de MDT
« Ce que j’ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre, c’est le lustre » (Baudelaire). Eh bien moi aussi, au sortir de cette « Tempesta », j’aurais surtout envie de vous parler du magnifique lustre de l’Opéra-Théâtre rénové… Je voulais le voir, ce vieux théâtre municipal, où, lycéenne, j’étais allée assister à un concert de Léo Ferré, au Cercle de craie caucasien (monté par qui ? Otomar Krejka ?), je voulais le voir sortant de plusieurs années de travaux, comme neuf. La rénovation est de grande classe, rouge pompéien et beige mat, un peu « Teatro alla Scala », fauteuils bien espacés et confortables, et ce lustre (626 pampilles de porcelaine blanche, 550 kg) ! Cela manque seulement encore de patine.
Pour découvrir cette salle, il fallait y voir un spectacle : ce fut La Tempesta, en italien surtitré, mise en scène par Alessandro Serra. Soirée agréable, mais peu marquante.
La pièce commence avec une tempête, suscitée par Prospero, roi d’une île qu’il gouverne depuis que son frère l’a détrôné du duché de Milan. Prospero compte sur la magie qu’il a apprise dans son île pour se venger de son frère, grâce aux deux génies qu’il contrôle, l’aérien Ariel, à qui il a promis la liberté, et l’infernal esclave Caliban, fils d’une terrible sorcière. Il a séparé les rescapés du naufrage : son frère et ses conseillers d’une part, les matelots Stefano et Trinculo d’autre part, et enfin son neveu Ferdinando. Chaque groupe se croit seul survivant. Prospero va favoriser l’amour entre sa fille Miranda et le prince Ferdinando, et mettre les autres rescapés dans des situations qui révèleront leurs mauvais penchants et leurs désirs de pouvoir, créant des scènes risibles ou tragiques, les rendre totalement dépendants de lui pour à la fin leur pardonner.
La Tempête est une pièce mystérieuse, où se trouve la phrase fameuse : « Nos vies sont faites de la même étoffe que les songes ». Sa longueur favorise sa complexité. Je l’ai vue il y a bien longtemps mise en scène par Peter Brook aux Bouffes du Nord et j’en garde, malgré les années écoulées, un souvenir de vie intense et de grande cruauté. La mise en scène de Robert Carsen, au Français il ya quelques années lien m’avait au contraire beaucoup ennuyée. Cette production se situerait entre les deux, mais assez proche de l’oubliable.
L’adaptation faite par le metteur en scène la resserre beaucoup, tout en modernisant parfois les dialogues pour faire sourire (Ariel demandant à Prospero d’être libéré ne serait-ce que « le temps d’une pause café »). Est-ce pour cela que l’impression dominante est celle d’une superbe imagerie, mais sans profondeur ?
Alessandro Serra cultive dans sa scénographie une esthétique du songe. La scène est très sombre, presque noire, envahie de brume (une brume très fine, rien à voir avec de grossiers fumigènes, une brume coûteuse !). Elle est éclairée d’en haut, comme par des puits de lumière. Les personnages qui viennent jouer sur une estrade surélevée au centre du plateau semblent se détacher d’une nuit qui les réengloutit. La scène est nue. Seuls accessoires : une toile sombre et légère, agitée au début pour évoquer la tempête et une planche dans la scène entre Ferdinando et Miranda. Il y a aussi de la musique, qui m’a semblé très convenue (la fameuse valse de Chostakovitch entre autre).
Comme l’estrade le laissait supposer, Serra veut suggérer dans le spectacle un hommage à l’illusion théâtrale : dans une fausse fin, on voit les acteurs changer de costumes, en fond de scène, près d’un portant qui apparaît.
L’ensemble est très fluide, les scènes se succèdent, toutes belles, avec de belles harmonies de couleur dans les costumes. Les acteurs sont plutôt bons : Prospero (Marco Sgrosso) a de la noblesse, Caliban (Jared MCNeill) est impressionnant, Ariel (Chiara Michelini) malicieuse et aérienne, mais dans un jeu qui manque d’intensité, comme en surface.
Je m’aperçois que je n’ai rien à dire que de très descriptif de ce spectacle. Il faut l’imputer en partie à la barrière de la langue : le décalage obligé entre la lecture des sur-titres et la vision de l’expression scénique du texte refroidit le rapport scène-salle et désamorce en particulier les scènes comiques, ce qui doit aussi refroidir les acteurs.
Mais c’est aussi qu’on a affaire à une mise en scène avant tout esthétique, qui ne parle pas au cœur et aux émotions, ni même vraiment à l’intellect, le texte étant trop raboté.
Qu’a voulu faire, dire, Alessandro Serra ? Je suis bien en peine de répondre à cette question.
© Christophe Raynaud de Lage