Magazine Voyages
Après quelques exercices ayant pour vaine mission de faire disparaître les quelques grammes de cellulite s’installant lentement mais sûrement autour de mes hanches, je me laissai pousser par les flots. Ils me ballottèrent quelques instants, faisant glisser sur ma peau des branches de textures multiples et désagréables. J’appréciais modérément le bain de mer du jour. Le ciel était encombré de nuages gris qui donnaient à la mer une teinte sombre. Un vent chargé des menaces du mauvais temps troublait les flots de l’océan.
Quand enfin la mer me recracha sur la berge, je regagnai mon tapis. Heureusement, il ne faisait pas froid. Tout en m’essuyant, je levai les yeux au ciel pour constater que le soleil formait une tache claire au milieu d’une épaisse brume blanchâtre. Je m’assis et me plongeai dans « La séquence des morts » de Patricia Cornwell. Ce roman policier me transporta à mille lieux de ma plage antillaise.
Je fus interrompue par un mouvement sur ma droite. Deux femmes d’un âge certain arrivaient. Elles me saluèrent toutes les deux et reprirent leur conversation animée. L’une d’elles portait une longue robe noire aux manches bouffantes qui, malgré le temps voilé, contrastait avec le paysage « sable et cocotier ». L’autre était aussi vêtue de couleur sombre. Sa longue jupe de toile fluide était remontée très haut sur son ventre rond. Son chemisier de fleurs bordeaux était rentré dedans. Ses cheveux étaient attachés dans un foulard et elle portait des lunettes.
Elles déposèrent leur sac au pied de la cabine du maître nageur et commencèrent à se déshabiller. A fin de préserver leur pudeur, je baissai les yeux sur ma page. Tout en bavardant, elles se dirigèrent ensuite vers les flots. Je ressentis un frissonnement lorsque la mer se coucha à leurs pieds. Elles gloussèrent :
- I glasé ! dit l’une (Elle est glacée)
Celle qui avait gardé son foulard et ses lunettes portait un maillot de bain une pièce noir. Elle se coucha sur la berge appuyée sur les coudes, le corps dans les vagues et la tête au sec. L’autre, portait une tenue de bain bleu foncé à points blancs pourvu d’une drôle de jupette. Ses cheveux mousseux auréolaient son visage d’argent. Elle avança dans l’eau jusqu’à la taille et resta debout là, en se mouillant les bras. Je voyais ses joues rebondies s’agiter au rythme de ses paroles et de son sourire. Son créole et sa voix rocailleuse me parvenaient. J’assistais médusée à ce spectacle tranquille quand le soleil sensible aux rires des deux commères fit une splendide apparition, en même temps que leurs rires, il illumina la plage et l’eau de la mer redevint cristalline tandis que les verres de la dame au foulard se teintaient de noir.
Leur bain fut bref. Et, telles deux fées sans doute un peu sorcières, lorsqu’elles sortirent de l’eau, le soleil disparut à nouveau.
Proverbe créole : Lanmè pani branch (La mer n'a pas de branches) Il faut se méfier de l'océan.