Vous avez dit "plantes magiques" ?

Publié le 21 juin 2013 par Bernard Taillefer

(montage photo B.Taillefer)

Avant de continuer sur les plantes magiques, je dois avouer que j'ai été deux fois interpellé ce mois-ci sur ces "plantes magiques" : la première fois par une herboriste de la région parisienne disant que "chaque jour des gens viennent en prétendant qu'ils ont découvert une nouvelle plante" ; la seconde fois par un agronome réputé et néanmoins ami, Marcel Mazoyer, me disant que ce n'est pas la bonne approche. Pas si sûr ! Mais je dois argumenter avant de poursuivre, quitte à ce que vous m'apportiez la contradiction dans les commentaires ! 

POURQUOI UNE RÉFLEXION SUR LES PLANTES MAGIQUES ?

Cette démarche autour des plantes magiques ne vient pas de nulle part. En février 2012, j'ai eu la chance de participer à une mission du PNUD en Haïti, en collaboration avec un agronome haïtien, Paul Duret et le bureau d'étude ERICE AZ. Le PNUD commanditait un manuel de formation sur la gestion durable des terres sans avoir recours à des investissements pierreux ou des aménagements physiques coûteux. Ce travail a conduit, entre autres, à produire un manuel des plantes et de l'arbre, puisque, de fait, un grand nombre de plantes peuvent jouer un rôle contre l'érosion ou pour l'enrichissement des sols, mais pas seulement.

Haie anti érosive d'agaves en Haïti (photo B.Taillefer)

Face à la richesse de la biodiversité haïtienne, il fallait trouver des critères pour sélectionner les plantes. Avec Paul, nous avons retenu 4 questions-clef pour ce faire :
1. Jouent-elles un rôle contre l'érosion ou dans l'enrichissement des sols ?
2. Procurent-elles des revenus, directs ou indirects aux paysans (vente de planches, de charbon de bois, de fruits (nature ou transformés), vente de miel, d'huiles essentielles, etc.
3. Apportent-elles de la nourriture, aux hommes et aux animaux, en période de soudure ou de sécheresse  ?
4. Soignent-elles les humains et les animaux (aujourd'hui, nous rajoutons les plantes) ?

Sur chaque fiche, des pictogrammes reprenaient les principales qualités des plantes. Nous les reprendrons dans ce blog (voir plus bas).

Voilà le départ de la réflexion sur les plantes magiques. Il n'est pas le seul.


En Afrique et en Haïti, des milliers de paysans essaient de vivre avec moins d'un demi hectare de terre. Certes, ils ont souvent deux récoltes par an mais nourrir une famille avec une si faible superficie devient difficile. La production tient nécessairement plus du jardinage que de la monoculture et se fait souvent sur des pentes sévères comme au Rwanda, au Burundi, en Haïti ou dans l'est du Congo RDC. Retenir les sols, éviter les ravines est fondamental. Des plantes peuvent y aider et leur rôle est crucial. Sur de petites superficies, il est important de choisir les bonnes plantes, en fonction de leur utilité économique, sociale et environnementale.
Vu que les superficies sont réduites, le choix des plantes est essentiel : pour produire plus, pour mieux gagner avec ce qu'on produit, pour se soigner, pour bien se nourrir. Mais les plantes s'influencent les unes sur les autres, souvent de manière bénéfique mais pas toujours. Dans le nouveau vocabulaire, on appelle cela la phytosociologie ! L'association réfléchie des plantes est aussi un principe de la permaculture. Donc Mazoyer a raison : oui pour une réflexion sur les plantes mais aussi sur les compatibilités et les associations de  plantes dans une approche bien comprise de l'agroforesterie.

Le monde  entier prend de plus en plus conscience du caractère très dangereux des pesticides chimiques de synthèse. Des producteurs (et des consommateurs) en meurent Or la nature offre, en quantité, des plantes qui protègent ou soignent les autres plantes. C'est vrai en Europe comme dans les pays tropicaux. Encore faut-il connaître et reconnaître ce pouvoir des plantes. Dans le district de l'Ituri par exemple, dans la province orientale de la République du Congo, poussent, entre autres, deux "plantes magiques", à la fois insecticides et engrais : le tithonia et le mélia. On pourrait en citer de nombreuses autres. Mais ces plantes ne sont pas suffisamment utilisées pour leurs vertus dans leur milieu d'origine. Leurs vertus ne sont connues que par un petit nombre de personnes. La connaissance sur le pouvoir phytosanitaire des plantes est très variable suivant les régions du Sud. Elle doit être partagée. Le concept de "mauvaise herbe", longtemps véhiculé par les agronomes "classiques" doit être revisité : y-a-t-il réellement de mauvaises herbes ?

Fleur de tithonia ou tournesol mexicain au Congo RDC (photo B.Taillefer)


Feuilles et fruits du Melia au Congo RDC (photo B.Taillefer)

De nombreuses plantes tropicales pourraient également fournir à l'agriculture biologique occidentale des extraits (poudre, huile) très utiles et très sains comme pesticides, insecticides. Mais avant d'envisager ces usages, très bloqués par des législations occidentales asservies aux multinationales de l'agrochimie (et qui bloquent la commercialisation de l'huile de neem par exemple dans l'agriculture en France), il vaut mieux penser en termes d'usages locaux de cette ressource exceptionnelle qu'est la plante tropicale. Et généraliser des savoirs-faire locaux, qu'on n'imagine même pas ! Au détour d'un chemin, dans le Bandundu, province à l'Ouest du Congo RDC, nous croisons un jardinier qui pratique le compost. Nous en demandons la composition. Il ramasse une poignée de fleurs, disant :  "cela, c'est plus efficace que n'importe quels excréments d'animaux !" Les fleurs, violettes, sont magnifiques. Le paysan explique que ce sont des fleurs de bois noir ! Commence alors la chasse au nom local (wenge) puis au nom latin pour connaître les propriétés de la plante et partager l'information. Le nom latin est finalement découvert : il s'agit du Millettia laurentii. 


Fleurs de bois noir, le wenge (photo B.Taillefer)

Le wenge est une légumineuse qui apporte (forcément !) de l'azote au sol et aux autres plantes ! Cet arbre aux magnifiques qualités pour l'ébénisterie (on l'appelle le faux ébène !), semble bien mal connu de la science alors que les paysans du Bandundu, qui en ont fait un arbre sacré (mais avec lequel ils se chauffent) doivent avoir des secrets non partagés.
Pour bien partager ces savoirs-locaux détenus par des tradipraticiens qui ne maîtrisent pas les noms latins, les articles font état des noms vernaculaires. Cela a nécessité un lourd travail et n'est pas exempt d'erreurs. Les lecteurs sont invités à compléter ces listes ou à corriger les erreurs repérées.

Certaines plantes ont de puissantes vertus médicinales découvertes par de nombreux peuples depuis des millénaires. Les recherches que nous entreprenons montrent cependant que les savoirs et les utilisations peuvent être différents d'un pays ou d'un continent à l'autre, voire même à l'intérieur d'un même pays. Ces savoirs pourraient disparaître, d'une part parce que tout est mis en oeuvre pour porter des coups fatals à la biodiversité et ensuite parce que ces savoirs, souvent secrets, sont transmis de génération en génération : sauf que maintenant les jeunes préfèrent souvent la ville et les tradipraticiens n'ont plus d'oreilles attentives dans leurs familles.

La médecine moderne (celle diffusée par les Occidentaux) a certes apporté des bienfaits dans les pays du Sud. Mais elle véhicule également des dégâts collatéraux : certains acteurs du Sud ne jurent que par les médicaments importés qui grèvent sérieusement les budgets nationaux. Ajustements structurels, et donc pauvreté aidant, les familles du Sud s'éloignent des médicaments occidentaux (ou pire les achètent au marché noir !) qu'elles ne peuvent acheter, retournant aux vertus des plantes dont les molécules, de fait, constituent les composants des médicaments ! Donc, le circuit est le suivant : les firmes pharmaceutiques importent des plantes du Sud, en fabriquent des médicaments conditionnés (gélules, comprimés, gels, sirops) et les renvoient au Sud avec une valeur ajoutée qui ne profitent qu'aux multinationales du Nord ! Comme dans l'alimentation, pourquoi ne pas adopter des circuits courts ? Direct, de la plante au traitement de la maladie ? Je parlais récemment en juillet 2012 avec une femme médecin suisse, spécialiste de la malaria et ayant longtemps vécu au Kenya. Elle est formelle : l'artémisinine est la molécule qui soigne le paludisme ! L'artémisinine est extraite d'une "plante magique", l'artemisia annua, qui pousse remarquablement bien en Afrique. Une association africaine, ANAMED, diffuse même des plants améliorés (1). Et des études montrent que l'infusion de feuilles est plus efficace que les médicaments occidentaux contenant de l'artémisinine (2). A Thiès (SENEGAL), un physicien a ouvert une clinique pour des soins du paludisme avec la poudre de feuilles d'artemisia annua. J'ai constaté, sur un proche, l'efficacité du traitement. On pourrait multiplier les exemples de plantes qui soignent. Pour diminuer les dépenses de santé des familles du Sud, il est important de mutualiser les vertus des plantes... et de protéger les forêts qui sont souvent l'environnement naturel des ces plantes magiques.


La dernière raison pour laquelle nous nous passionnons pour les "plantes magiques" est plus politique. Un débat très idéologique se développe sur la planète pour savoir si l('agriculture biologique serait en mesure de nourrir 12 milliards d'humains, sans compter les animaux. Deux catégories de thèses s'affrontent : celles de nombreuses organisations paysannes du Nord et du Sud, rejoints dans la pensée par des des agronomes réputés (Mazoyer, Dufumier, Bourguignon pour ne citer que certains des scientifiques français) ou des praticiens (Gora Ndiaye au Sénégal, Pierre Rabhi en France, Godfrey Nzamujo au Bénin (il est impossible de citer tous les praticiens et agronomes qui mènent de remarquables combats de par le monde) qui font remarquer au passage que la réduction de la consommation de viande pourrait être un bienfait pour l'humanité et pour la disponibilité alimentaire humaine globale ; celle des capteurs de profits (multinationales, hommes politiques et scientifiques arrosés par les précédentes, bradeurs ou accapareurs de terres dans les pays du Sud etc...). Ces derniers mènent des combats gigantesques, à grands renforts d'argent, de marketing, de plaidoyer et de pratiques vénales pour voler les terres des petits paysans, promouvoir les pesticides et insecticides de synthèse et diffuser, comme de dangereux apprentis sorciers, les OGM en Afrique et en Amérique Latine. Leur leitmotiv : ce n'est qu'avec cette stratégie et ces produits que la planète pourra être nourrie.

Cette dernière approche est bien dangereuse et mensongère. Nous ne la débattrons pas ici. Nous préférons arguer sur le fait suivant, à la suite des organisations paysannes du monde (Sud et Nord) : oui, les petits paysans sont capables de se nourrir, de nourrir leur peuple, voire d'exporter, si tant est que la circulation des marchandises alimentaires garde un sens dans les années à venir. 

Cela suppose de remplir plusieurs conditions : 
1. Changer les statuts fonciers des pays africains et d'Haïti  Alors que les accapareurs de terre reçoivent des garanties des Etats, les paysans sont toujours à la merci de décisions gouvernementales qui peuvent les expulser du jour au lendemain et le droit coutumier ne les protège pas suffisamment ; des organisations paysannes se battent depuis des années, sans trop de succès ; par précaution, les paysans investissent peu sur cette terre qui ne leur appartient pas.
2. Octroyer des financements de long terme aux paysans afin qu'ils puissent investir dans des structures de commercialisation, de transformation ou de stockage ; ces financements ne sont pas disponibles... entre autres du fait qu'ils n'ont pas de terres puisque leurs champs ne leur appartiennent pas !
3. Prendre conscience que c'est le paysan qui entretient et sauve le terroir par son travail : sans paysans, les ravines, l'érosion, la latérisation, la déforestation se répandront. Compte tenu de ce fait, les paysans du Sud doivent être subventionnés pour la défense permanente qu'ils font du terroir, ce bien public ;
4. Passer d'urgence des crédits de campagne pour telle ou telle spéculation (quand ils existent) à des financements de l'exploitation familiale, incluant l'association des cultures, l'agroforesterie, les actions de reconstitution des sols par une utilisation bien comprise des "plantes magiques" !
5. Adapter les conditions de financement (taux d'intérêt, exigence de garanties, durée et échelonnement des remboursement, rééchelonnement des crédits) en fonction des calamités agricoles ;
6. Renouer avec des politiques de conseil et de vulgarisation agricoles prises en charge par les Etats, comme le réclament souvent les organisations paysannes.

Oui, finalement, l'identification des plantes magiques n'est qu'un élément pour conserver la biodiversité, restaurer l'environnement et améliorer les revenus des paysans ! Mais, dans un contexte de rareté des terres, il est important d'avoir une bonne connaissance des plantes qui répondent à nos 4 questions en reprenant un principe fondamental des ancêtres, prudent : les cultures associées.

DES PICTOGRAMMES POUR IDENTIFIER RAPIDEMENT LES VERTUS DES PLANTES 

Nous avons utilisé ces pictogrammes dans le manuel des plantes et de l'arbre pour Haïti. Nous en donnons la liste ici et nous les reprendrons dans la présentation des plantes magiques.

Bonne lecture à tous ! Pensons aussi à échanger les savoirs de nos cultures. Et sur nos plantes magiques ! C'est le sens de ce blog. Bernard TAILLEFER(1) http://www.anamed.org/Francais_Home/Malaria_Artemisia_Starter-kit/malaria_artemisia_starter-kit.html(2) http://www.anamed.net/Francais_Home/luetgen_tisane_04-2009_EXTRAITS.pdf