Critique de L’invention de nos vies, d’après Karine Tuil, vu le 16 juillet 2022 à 17h30 au Théâtre Actuel
Avec Valentin de Carbonnières, Mathieu Alexandre, Yannis Baraban, Nassima Benchicou, Brigitte Guedj, Kevin Rouxel, Elisabeth Ventura, mis en scène par Johanna Boyé
Encore un spectacle qui a plus d’une corde à son arc. La première que j’ai repérée, c’est la présence d’Elisabeth Ventura, trop rare sur les planches depuis quelques années. Je suis ravie d’avoir une occasion de la retrouver. La seconde, c’est évidemment Johanna Boyé, la metteuse en scène que rien ne semble pouvoir arrêter : après les succès de Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty et de Je ne cours pas je vole lors des précédentes éditions avignonnaises (que j’avais repéré, mais manqué), elle revient avec cette adaptation de roman plus que prometteuse. Avec une distribution importante, rare dans le OFF, je ne vais pas bouder mon plaisir.
La pièce est adaptée du roman à succès du même nom, écrit par Karité Tuil, qui raconte la chute de Samir, un jeune arabe qui s’est inventé une nouvelle identité en arrivant aux États-Unis. Cette nouvelle identité, c’est celle de Sam, le diminutif de Samuel cette fois, prétendument orphelin et juif, qui lui a permis d’intégrer un grand cabinet d’avocats et d’entamer sa nouvelle vie. Tout est basé sur un mensonge savamment orchestré, dont personne n’a la moindre idée. Mais comment garder secrète une vie tellement brillante ?
Ce qui m’a attiré dans le spectacle, après la distribution, c’est aussi la promesse d’une vraie histoire. Et je n’ai pas été déçue. Dans un style très michalikien, complètement fluide dans l’adaptation comme dans la mise en scène, le petit monde de Sam naît sous nos yeux. La tension monte, le rythme s’accélère, jusqu’à la chute qui voit ce rythme effréné se ralentir légèrement. Ce serait d’ailleurs ma seule réserve sur le spectacle : quelques petites longueurs qui s’installent vers la fin, lorsque tout a été révélé et qu’il faut trouver une issue à l’histoire. Les tableaux s’enchaînent de plus en plus courts et le rythme s’en ressent légèrement.
Mais c’est franchement pinailler. Je ferais mieux d’insister sur l’excellente interprétation de Valentin de Carbonnières, qui campe un Samir à la fois ultra charismatique et complètement ambivalent, passant de prédateur à proie en un clignement d’oeil. En scène durant pratiquement toute la durée du spectacle, il est étonnant. Mais tous suivent cette excellence. Ils sont dirigés de main de maître par une Johanna Boyé qui sait où elle va. Sa mise en scène est plus qu’efficace : elle vit. Avec toute l’intensité qu’il est possible de faire passer dans pareil engrenage endiablé, elle permet à cette écriture littéraire, qu’on a même plaisir à entendre, de se théâtraliser au plateau. Et d’en ressortir avec l’envie de dévorer le roman.
Un aller-retour pour New-York en moins de deux heures, ça ne se refuse pas.