La Fin Des Ours

Publié le 18 juillet 2022 par Hunterjones
Je ne suis pas complètement fâché de certaines tangentes de notre époque. 

Comme l'épuisement de la masculinité malsaine. Ou du moins les coups dans les flancs qu'elle subit, et le réflexions que les Hommes sont forcés de faire. #MeToo aura forcé beaucoup de bon. 

Quiconque a déjà travaillé dans un restaurant est familier avec le cauchemar récurrent de celui ou celle qui cuisine dans ses rêves, la nuit, anxieux/anxieuse, courant les tables, faisant face à des problèmes d'équipements, de gestion d'employé(e)s, de facturation, de commandes qui arrivent toutes en même temps ou pas du tout et qui ne plaisent à personne, toujours armé de leur bouche-à-oreille potentiellement fatal. Les cuisines marinent souvent des dépressions nerveuses latentes. Hulu présente en ce moment l'excellente série The Bear de Christopher Storer. L'action est placé dans le chaos des cuisines d'un resto, mais le propos est largement ailleurs. C'est bien une série en provenance des États-Unis puisque dans le premier épisode, il y a coups de fusils. Storer tourne 5 des 8 épisodes lui-même, ce qui est toujours bien pour un(e) auteur(e) qui ne pourra jamais dire "ce n'est pas ce que j'avais écrit". C'est monté très serré et en gros plans sur les aliments, ce qui donne à la fois faim, et le ton du stress du travail de restaurateur. Au 7ème épisode, on a eu l'intelligente idée de faire l'absolu contraire en tournant l'épisode lentement et presqu'en un seul plan. Brillant. C'est justement l'épisode où les choses implosent. 

The Bear est stressant, excitant, ambitieux, drôle, devastateur et très d'actualité. On y suit Jeremy Allen White (de Shameless) dans la peau de "Carmy" , cuisinier primé, importé au resto de Chicago de son frère, afin de sauver les affaires, son frère ayant abandonné le commerce. Il s'agit d'une sandwicherie servant du boeuf italien (mais la majorité des employés ont la peau noire.) Tout semble insurmontable, ce qui me rappelle mon travail, au bureau, les mercredis et les vendredis*.  

Les shows télés axés sur les chefs ont tendance à se concentrer sur l'ego masculin. Chef Table, Kitchen Nightmare, The Great British Baking Show, et combien d'autres misent sur la forte personnalité, parfois perverse, qui fera de notre simple manger, un art. Si The Bear a un frère spirituel, il s'agirait d'Anthony Bourdain. Plusieurs points relient à Bourdain. Ses travelogues ont révolutionné le genre et fait naître des recettes et des idées du fond des océans planétaire jusqu'au ciel. 

Bourdain ne faisait que débuter à explorer quand il a choisi d'en finir avec notre planète, en 2018. La masculinité est le propos principal de The Bear. Et on y découvre subtilement une mécanique sociale mâle qui est construite pour inévitablement échouer. La culture dominée mâle échoue beaucoup depuis quelques années. On y voit, dans la série comme dans la vie, des gens qui carburent à la hiérarchie, dans les cuisines comme dans les salles de réunions, jouer dans l'entourage du vice, être empoisonné de l'intérieur. La hiérarchie d'une cuisine peut être distincte et on évoque l'idée de la "brigade". On y parle d'incel, de QAnon, de consommateurs de 4Chan, de motherfuckers, dont Richie est parfois proche parent. Une scène formidable montre une bataille sur le point d'être en cours entre petites merdes mâles trainant autour du restaurant, un mâle alpha, ancien militaire, Richie justement, court chercher un fusil pour calmer le jeu. À son retour, une femme cuisinière de l'équipe de renfort, Sidney,  qui elle, est largement torturée psychologiquement par la brigade de la cuisine, lui dit que tout est réglé, par le dialogue. Elle sert des sandwichs aux ennemis d'il y a 10 minutes. Richie reste estomaqué d'un conflit réglé ainsi, sans excès de violence.  Aussi surchauffant que The Bear puisse paraître, il est aussi ponctué de totale beauté. De vraie vraie beauté. Le contraste entre Richie et "softy bitch" Sidney est très intéressant. Toxic meets finesse. La série pose ultimement la question subtile, voulons nous de la vision de Richie ou de celle de Sidney?.  Et Carmy, coincé entre les deux est formidable. Avec sa soeur intense autour. C'est elle, (Abby Elliott) une Femme, qui lui suggère de nouvelles manières. Tina, une dure cuisinière (l'auteure Liza Colon-Zayas) et Sidney (Ayo Ederbin) l'influenceront aussi. Richie, presque calciné de l'intérieur par une rage accumulée sur plusieurs années, apprends qu'il y a de nouvelles manière de gagner dans ce monde. Ces mâles évoluent.Les vulnérabilités sont exposées, l'écoute y est capitale, entre personnages et une fois la poussière des cris tombée, le dernier épisode offre 7 minutes de fameux propos sur l'importance d'être professionnellement accepté face à celle de simplement tenter d'être heureux. La fin est pleine de possibilités pour une seconde saison. Une peau neuve pour les mâles. Celui, au Québec qui peine à faire peau neuve, et dont il est intéressant de suivre la descente en enfer est le toxique Jean-François Fillion qui animait la principale radio-poubelle de la région de Québec. Il a été limogé plus tôt cette année, par dignité, et depuis, il vit de son ballado, qui est désormais payant. Ce qui l'a fait dramatiquement chuter dans les palmarès du genre. Ses supporteurs sont généralement pauvres au sens propre comme figuré. 
Il publie quelques fois sur Twitter, mais chaque fois, je reste surpris du mâle noyé qu'il est devenu. 

 Un ours qui n'arrive plus à avoir des dents. Un mâle toxique déchu. 

Un crieur aphone. 

Rien n'est parfait encore. Et jamais ne le sera. Mais on y travaille. C'est encourageant pour bien des gens.

*J'ai aussi travaillé, dans les restos, ado