Critique de Un Héros, de Nikolaï Erdman, vu le 14 juillet 2022 à 14h10 au Théâtre du Roi René
Avec François Legrand, Pierre-Olivier Mornas, Didier Niverd, Pascal Parmentier, Sophie Raynaud, Jean-Benoît Souilh, Héloïse Wagner, dans une mise en scène de Julie Cavanna
C’est la tête de Pierre-Olivier Mornas qui m’a d’abord fait m’arrêter sur cette affiche. J’ai découvert le comédien en début de saison dernière dans une Ile des esclaves tout à fait honorable, et son visage a dû me marquer puisque me voilà à lire le descriptif de ce Héros présenté au Théâtre du Roi René. L’histoire attire ma curiosité sans non plus déborder de fantaisie, mais c’est surtout la longue distribution, trop rare à Avignon, qui finira de me convaincre. Ce spectacle ouvre officiellement mon Festival OFF 2022, et la superstition veut qu’il donnera le ton de ma semaine : alors, héroïque ou dégonflée ?
Sémione est au chômage et met tout son espoir dans l’apprentissage d’un instrument de musique assez peu connu qui lui permettrait de partir en tournée et de gagner correctement sa vie. Il se rend compte assez rapidement que son entreprise est impossible et parle de suicide. Au lieu de chercher à le convaincre de rester en vie, son voisin y voit une opportunité de se faire de l’argent et monte une sorte de business sur le dos du futur suicidé en le mettant en relation avec des gens soutenant des causes – la politique, l’art, le commerce – afin qu’il se tue pour elles.
Je n’ai pas compris tout de suite que ce Héros était en fait une adaptation du Suicidé de Nikolaï Erdman. J’ai un très bon souvenir de cette pièce que j’avais vue il y a des années au théâtre 13 et qui ressemblait à un grand désespoir sur fond de fête. Ici, on n’est ni franchement au désespoir, ni franchement à la fête. C’est comme si la metteuse en scène, dont c’est le premier travail, n’avait pas su se caler sur une couleur, sur une vision de la pièce. Est-ce drôle, est-ce absurde, est-ce politique, est-ce profond ? Le spectacle ne parvient pas à trouver sa trajectoire et choisit plutôt le sur-place, faisant de temps en temps un petit pas de côté, drôle ici, absurde là, comme saupoudrant de manière aléatoire des émotions pas vraiment assumées.
C’est dommage, car c’est un texte aux teintes multiples qui gagne à être joué franchement. L’adaptation, qui coupe une grande partie des enjeux politiques, gomme aussi probablement une partie de l’essence même de la pièce, qui aurait pu infuser dans l’ensemble du spectacle. Mais il ne s’agit pas que de ça. On sent comme une timidité dans la direction d’acteurs qui bride les comédiens qui ne peuvent alors imposer le bon rythme. Moi qui avais repéré le spectacle pour sa troupe importante, je suis déçue d’entendre ces répliques qui semblent ne pas se répondre, cette mise en scène parfois convenue qui alourdit encore les échanges, si bien que les scènes qui fonctionnent le mieux sont encore celles où Pierre-Olivier Mornas est seul. Il faut dire que le comédien, qui m’évoque parfois José Paul, avec son sourire en coin légèrement ironique et son sens du rythme à contretemps, est, lui, parfaitement dans son élément. Il faut dire que le personnage gagne à être joué ainsi en décalé, et que l’authenticité un brin naïve de sa composition sied parfaitement à ce héros pathétique.
Un peu déçue par le manque de force du spectacle, mais malgré tout heureuse d’avoir découvert en Pierre-Olivier Mornas un suicidé aussi nuancé
© Romain-Redler