Décidément, les politiciens sont des super-humains capables de prouesses impossibles au commun des mortels ! La semaine dernière, l’actualité nous fournissait une nouvelle preuve qu’ils peuvent très habilement transformer de l’énergie en pénurie. On découvre qu’ils sont aussi capables de transformer une ressource mondiale et unificatrice en source de dissentions et de séparations : avec un peu d’obstination et grâce à leur intervention acharnée, il se pourrait bien que l’Internet de 2023 ne soit vraiment plus comme l’internet que vous connaissiez jusqu’à présent.
En effet, grâce à une subtile intervention irlandaise d’un côté, à des règles européennes strictes en matière de protection des données privées de l’autre, l’Europe se dirige doucement vers une véritable partition de son réseau de télécommunication du reste du monde.
C’est par le truchement d’un petit article paru sur Politico qu’on apprend ainsi que le 7 juillet dernier, la Commission irlandaise de protection des données privées entend bloquer les transferts de données de Meta entre l’Europe et les États-Unis.
Meta, la société mère de Facebook, a son siège social européen situé en Irlande, ce pays offrant des conditions de taxation plus favorables que d’autres pays européens (France en tête). Or, cette Commission irlandaise est – entres autres – chargée de réguler les activités de Facebook en Europe et sa dernière décision propose donc de bloquer les flux de données entre l’Irlande et les États-Unis : l’idée est ici que cette Commission, l’équivalent irlandais de la CNIL française, entend protéger les données privées des utilisateurs européens de Facebook en interdisant donc leur rapatriement sur les serveurs américains de la firme internationale, afin d’éviter leur exploitation dans un cadre non protégées par les lois européennes.
Comme d’habitude, l’enfer est ici pavé de bonnes intentions en format 40×40, brillant et doux au toucher, carrelé par des députés et des administrations habiles de la truelle mais pas trop malins pour comprendre les conséquences de leurs actes à moyen et long terme : il ne faut pas être devin pour comprendre que l’interdiction de ces flux va directement provoquer deux effets de bord indésirables.
Le premier est évident : les citoyens européens qui utilisent, de près ou de loin, les services de Meta sur un sol autre qu’européen vont se retrouver rapidement en slip numérique. En effet, les flux dont il est ici question permettent notamment de synchroniser les centres de données dans les différents points du monde : ceci évite par exemple que les gigaoctets de données provenant de certains profils soient trimballés d’un bout à l’autre du globe, une copie géographiquement proche étant accédée préférentiellement.
Cette optimisation n’est pas un simple luxe : outre le gain de temps et de souplesse pour l’utilisateur, elle permet aussi d’éviter de multiplier les coûts de communication de gros volumes de données à des moments imprévisibles. Dans une société civile qui fait grand cas des dépenses énergétiques, on s’étonnera qu’une telle optimisation soit subitement interdite qui permet justement d’alléger certaines empreintes carbones.
Mais bon, il est vrai que la cohérence d’ensemble n’a jamais été le souci des administrations publiques.
D’autre part, l’arrêt de ces flux va immanquablement interrompre des possibilités commerciales qui se traduisaient par des emplois : eh oui, le régulateur l’oublie très vite, mais des individus vivent des réseaux sociaux, gagnent leur croûte en proposant des services pour lesquels la continuité internationale n’est pas une mince affaire.
Cantonner Meta (et Facebook) à certains prés carrés revient à briser les interconnexions techniques et donc commerciales entre les différents continents ce qui va se traduire par des pertes d’opportunité et de création de richesse. Autrement dit, en protégeant ces données de façon inadaptée, on va directement perdre en compétitivité, produire du chômage et des difficultés supplémentaires, des dépenses énergétiques additionnelles et, par conséquence, on aboutit à appauvrir le citoyen européen.
Le second effet de bord est que ce qui va être mis en place (ou, de facto, interdit) pour Meta le sera à terme pour d’autres sociétés.
Oui, la suite logique de cette décision est évidente : petit-à-petit, l’Europe va couper certains ponts et diminuer certains échanges d’informations, progressivement mais inéluctablement. Et comme avec les précédentes décisions où il aura été question d’interner des millions d’individus « pour les protéger », de les masquer ou de les punir avec différentes vexations ou ségrégation « pour leur sécurité », on va à nouveau utiliser cette excuse de la protection pour couper l’Europe du reste du monde, et aboutir, à terme, à un réseau internet « à la russe » ou, pire, « à la chinoise ».
Au passage, on ne pourra s’empêcher de se rappeler que le citoyen, dans toute cette histoire, n’a jamais réellement demandé ce niveau de protection et ce niveau de limitation dans l’échange international des données entre continents. Ce qui apparaît clair, pour ces mêmes citoyens, est la nécessité de savoir quelles données sont collectées, par qui, et où elles vont. Il devrait être du ressort de chacun d’entre nous de décider les limites qu’on souhaite imposer aux entreprises, et à la loi de s’assurer que ces entreprises respectent ces choix.
Or, il apparaît évident que les décisions prises partent essentiellement du principe que le citoyen est un petit mammifère mou à peine adolescent, incapable de prendre ce genre de décision pour lui-même. Au final, le niveau de protection offert n’est clairement pas en ligne avec ce que veut le citoyen : la protection offerte apporte essentiellement des inconvénients et des effets de bords indésirables, et n’apporte aucun bénéfice visible à court, moyen et long terme.
Bien sûr, certains législateurs, conscients des enjeux réels et des dérives évidentes de ces tendances mortifères, essayent actuellement d’établir des traités d’échange de données entre les États des deux côtés de l’Atlantique qui pourraient amoindrir les problèmes de cette dernière décision irlandaise. On comprend ici que la décision irlandaise va directement servir de levier dans ces négociations : les Américains peuvent-ils se passer d’un marché de 700 millions d’internautes aisés ?
Cependant et comme nous l’a amplement montré l’histoire récente, rien ne permet d’affirmer que ce qui sera négocié ne sera pas finalement pire encore que l’état actuel des limitations. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, le diable est dans les détail et là encore, les diablotins sont nombreux dans les administrations et les parlements.
Et compte-tenu de la dérive autoritariste, dirigiste voire dictatoriale des administrations européennes actuellement, on peine à rester serein.
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