" C'est la première fois que le navire quitte les rats ! " (Keir Starmer).
C'est ainsi que le leader de l'opposition, le chef du parti travailliste, Keir Starmer, a commenté la série de démissions du gouvernement britannique du 5 au 7 juillet 2022, mais il n'était pas encore au courant de l'information principale. Boris Johnson a jeté l'éponge à 13 heures 37 au cours d'une allocution télévisée : " Il est désormais clair que le parti conservateur souhaite avoir un nouveau chef et donc, un nouveau Premier Ministre. Et je suis tombé d'accord avec l'état-major du parti. Nous devrions commencer à procéder à des élections dès la semaine prochaine. ".
Cette journée marque donc la fin d'une résistance inouïe à un grand nombre de scandales politiques touchant Boris Johnson qui, jusque-là, avait toujours refusé de démissionner. Sa dernière victoire, il l'avait eue à la fin des fêtes du Jubilé de la reine, dans la soirée du 6 juin 2022 : soumis à un vote de confiance de sa majorité (les députés conservateurs), il avait convaincu 211 députés pour le maintien contre 148. Selon les procédures, Boris Johnson devait être à l'abri d'un nouveau vote de confiance pendant un an. Cette fronde avait pour origine le scandale des fêtes clandestines du Premier Ministre (partygate) entre mai 2020 et avril 2021 alors que le peuple britannique était en plein confinement (le pire a été la dernière fête alors que la reine Élisabeth II enterrait au même moment son mari, le Prince Philip).
Dans ce scandale, ce qu'on reproche à Bojo n'est pas seulement d'avoir enfreint les règles du confinement et fait la fête, mais aussi d'avoir menti à plusieurs reprises, démentant initialement ces faits, puis y revenant par la suite pour reconnaître la vérité et se confondre en excuses.
La dernière affaire, elle a démarré le 29 juin 2022 quand un de ses anciens ministres, Christopher Pincher, nommé le 8 février 2022 "whip en chef adjoint aux Communes" (le whip, c'est le coordinateur du groupe majoritaire à la Chambre des Communes, en quelque sorte, un président de groupe mais pas exactement car il assiste aussi aux réunions du cabinet, c'est donc une fonction importante), cet homme a fait des attouchements sexuels sur d'autres hommes lors d'une soirée très arrosée. Au départ, Boris Johnson a prétendu qu'il ne connaissait pas les penchants sulfureux du whip adjoint, puis a reconnu que si et que cela ne l'avait pas dissuadé de le nommer, etc.
À chaque fois, Boris Johnson a toujours pris une marge avec la vérité, en le faisant très consciemment par cynisme. Commentant cette situation le 7 juillet 2022 sur LCP, le journaliste Vincent Hugueux a raconté que Jean Quatremer côtoyait souvent Boris Johnson à Bruxelles lorsque ce dernier était journaliste de "The Daily Telegraph" et son correspondant pour l'Europe entre 1989 et 1994 : il donnait alors au correspondant de "Libération" des cours de fake-news, lui expliquant cyniquement que c'était rarement remarqué (il avait été licencié du "Times" pour avoir falsifié la citation d'une personnalité et, étudiant, il a aussi inventé une citation de Churchill).
Bref, Boris Johnson ne s'est jamais embarrassé avec la vérité, jusqu'à ce nouveau scandale (ici sexuel), et la plupart des responsables conservateurs en ont eu marre car des élections locales ont eu lieu récemment, normalement imperdables mais que les conservateurs ont perdues à cause de la légèreté de leur chef de file. Le meilleur moyen de faire sécession, ce fut la démission après les énièmes aveux et excuses de Boris Johnson le 4 juillet 2022 d'avoir menti. Dès le lendemain, l'opération s'est mise en place : l'équivalent du ministre des finances (Chancelier de l'Échiquier) Rishi Sunak et l'équivalent du ministre de la santé Sajid Javid ont démissionné de leurs fonctions. Le lendemain, une vingtaine de ministres ont suivi et le surlendemain, au total, cinquante-huit ministres et responsables du parti ont donné leur démission.
Cela a abouti à l'annonce de la démission de Bojo, applaudie par le chef du parti travailliste Keir Starmer : " C'est une bonne nouvelle pour le pays que Boris Johnson ait démissionné de son poste de Premier Ministre. Mais cela aurait dû arriver il y a longtemps. Il a toujours été inapte aux fonctions. Il a été responsable de mensonges, de scandales et de fraudes à l'échelle industrielle. Et tous ceux qui ont été complices devraient avoir honte. Le parti conservateur a semé le chaos dans le pays pendant la pire crise du coût de la vie depuis des décennies. Et ils ne peuvent plus prétendre que ce sont eux qui règlent le problème... Nous n'avons pas besoin de changer les conservateurs au sommet. Nous avons besoin d'un véritable changement de gouvernement. Nous avons besoin d'un véritable départ pour la Grande-Bretagne. ". Le successeur de Jeremy Corbyn (évincé de la direction du parti travailliste pour cause d'antisémitisme) verrait d'un bon œil de nouvelles élections (les prochaines sont prévues seulement pour janvier 2025). La Première Ministre irlandaise aussi paraît satisfaite et soulagée, espérant que son successeur retissera des relations plus chaleureuses et constructives entre l'Irlande et le Royaume-Uni.
Pour Boris Johnson, c'est un coup dur alors qu'il avait mené les conservateurs à une victoire historique aux élections législatives du 12 décembre 2019. Il comptait même rester trois mandats, c'est-à-dire jusqu'en 2034 ! C'est dire l'ambition de celui qu'il se considérait comme l'héritier de Churchill.
Immédiatement, le Président de l'Ukraine Volodymyr Zelensky a regretté cette situation, considérant que Boris Johnson, qui l'avait rencontré plusieurs fois à Kiev depuis le début de la guerre en Ukraine, était un "vrai ami de l'Ukraine" : " Merci à Boris Johnson d'avoir compris la menace du monstre russe et avoir toujours été à l'avant-garde du soutien à l'Ukraine. ". En revanche, le Kremlin s'est réjoui en commentant ainsi : " Nous espérons qu'un jour, des gens plus professionnels et en mesure de prendre des décisions à travers le dialogue arriveront au pouvoir en Grande-Bretagne. ".
Cependant, la crise politique n'est pas terminée et beaucoup des ministres démissionnaires demandent l'éviction immédiate de Boris Johnson du 10 Downing Street. En effet, avec la désignation du prochain chef du parti conservateur, Bojo pourrait rester au pouvoir jusqu'en automne 2022 : le 21 juillet 2022, les députés se mettent en vacances et les conservateurs n'auront sûrement pas le temps de désigner le successeur avant cette date.
Le vieux Michael Heseltine, favorable à la construction européenne et ancien Ministre de la Défense de Margaret Thatcher, est même monté au front sur la BBC pour exiger le départ immédiat de Boris Johnson : " Le laisser dans une position où il peut utiliser le pouvoir du Premier Ministre pour servir ses propres causes et ses propres intérêts est une chose très dangereuse à faire (...). Cela ne fera que perpétuer l'incertitude. ".
Pour l'heure, un moment pressenti pour l'intérim, l'ancienne Première Ministre Theresa May a exclu de revenir temporairement au pouvoir : " D'après tout ce que j'entends, et je n'en ai pas entendu parler récemment, je ne pense pas qu'il y aura un Premier Ministre par intérim dans le sens où quelqu'un d'autre entrera dans ce rôle. Lorsque j'ai démissionné, il y avait un processus, un nouveau chef du parti était déterminé et pendant cette période, j'étais toujours là en tant que Première Ministre, capable de faire certaines choses, mais, surtout, vous devez vous restreindre ce que vous faites pendant cette période. ". Dans un sondage YouGov publié dans l'après-midi du 7 juillet 2022 interrogeant 2 062 personnes, seulement un tiers de sondés (32%) souhaitent le maintien provisoire de Boris Johnson tandis que plus de la moitié (56%) demandent son départ immédiat.
Boris Johnson, cela dit, n'a pas perdu de temps et a nommé immédiatement les remplaçants des ministres démissionnaires pour continuer à gouverner.
Évidemment, dès lors que le processus de désignation du successeur commence, les candidatures affluent. Parmi les plus probables : la Ministre des Affaires étrangères Liz Truss, la Ministre de l'Intérieur Priti Patel, le Ministre de la Défense Ben Wallace, la Ministre du Commerce Penny Mordaunt, le Ministre des Finances démissionnaire Rishi Sunak et son remplaçant Nadhim Zahawi (ex-Ministre de l'Éducation), et la procureure générale pour l'Angleterre et le pays de Galles Suella Braverman. On peut aussi ajouter le Vice-Premier Ministre et Ministre de la Justice Dominic Raab (ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Ministre de la Santé), et les anciens ministres Jeremy Hunt et Michael Grove qui a été débarqué du gouvernement le 6 juillet 2022 par Boris Johnson.
C'est la première fois qu'un Premier Ministre britannique est acculé à la démission pas pour des raisons politiques mais pour des raisons comportementales. La page va certainement mettre un peu de temps à se tourner, car la personnalité très forte de Boris Johnson n'a laissé guère de place à d'autres esprits forts au sein du parti conservateur. Mais, un principe de thermodynamique politique dit que le vide ne reste jamais vraiment longtemps, en politique.
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Sylvain Rakotoarison (07 juillet 2022)
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