Kaïros de Nathanaëlle QUOIREZ, chez Polder numéro 194

Par Etcetera

Couverture chez POLDER

(Aujourd'hui je laisse la parole à mon ami le poète Denis Hamel pour une note de lecture sur un recueil poétique paru chez Polder en cet été 2022.)

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Kaïros, par Nathanaëlle Quoirez. (Polder 194, Décharge / Gros textes. 2022. 70 p.)

" ... la Vérité n'est ni un ensemble de dogmes, ni les décisions de conciles et de papes, ni une doctrine, ni même la Bible conçue comme un livre. La Vérité, c'est une Personne ! [...] il est question de faire confiance à une personne qui vous parle. " - Jacques Ellul, Anarchie et christianisme.

" Le langage, s'il peut être vecteur de la parole, et possible translateur de vérité, ne le sera qu'en tant que langage ouvert, c'est-à-dire langage qui permet chaque fois une aventure. " - Idem, La parole humiliée.

(Un bémol rapide pour commencer, concernant la préface de Milène Tournier, à mon sens trop exagérément laudative et empreinte d'une préciosité doctorale un peu pesante : " Elle [L'autrice] adosse sa cantillation à l'ellipse pour trouver l'élan de vitalité, le nourrir surtout, pour que ce qui s'écroule rejoigne ce qui s'écoule [...] " Alors oui, certes, mais je ne suis pas sûr qu'à ces altitudes, la Poésie puisse continuer à respirer correctement, faute d'oxygène. Enfin passons.)

D'entrée de jeu, NQ nous avertit :

ne tâche pas l'ombre de la tienne le monde travaille avec son propre poids

et plus loin :

Je fais espace à mon démon dans la neutralité des choses

...

sur le route du rhum soldé les compromis déclaré encombrant tout appel de sagesse

Il n'y aura pas d'explication, de justification, d'exégèse. Ce qui est dit dans ce recueil est à prendre ou à laisser, tel quel. Le tropisme chrétien primitif qui imprègne le texte est évident, mais que nos amis bouffeurs de curés ne s'affolent pas : on n'est pas ici chez Claudel ou Bobin, mais plutôt chez Jacques Dupin, voire chez Eluard.

grâce de pleine marie je vous salue entrailles j'aurais besoins d'une religion d'extase où chaque jour du seigneur je me transforme en rayon d'or j'aurais besoin d'un incendie d'atomes de faire de ma prêtrise une anarchie directe dieu rappelle à lui, vous ne passerez plus par le cœur de l'aiguille.

La prosodie de NQ, superficiellement vécue comme constituée de vers libres, se révèle en fait pan-rythmique, comme Schoenberg baptisait son système harmonique pan-tonal plutôt qu'atonal. Partout, la présence d'hexamètres et dans une moindre mesure d'octosyllabes, qui hante fantômatiquement le flux du discours. Comme une cadence de Bach dans un concerto de Berg. Et parfois des morceaux de logique floue, des étrangetés syntaxiques, grammaticales ou lexicales comme autant de pierreries serties dans le chant :

arrête-moi d'écrire avant que je tombais épouvantail dans le vignoble arrête-moi martyr avant que de prière joueuse et célicole Les vocabularions à l'arbre des pendus épiné robe autour et pas baissé la peine dans taire on a semé la poésie ouverte

La mystique de NQ, écartelée entre vénération et sexualisme, se déploie au fil du recueil :

noyé tes étincelles et tes danses anarchiques ton coup de voix et ton sexe faire diversement joui ton janvier radical et ton oiseau coureur dans l'infidélité vous adorant la peau et vous baisant la nuque je vous veine aux doigts épuisée une danse jarret sur le cheval ma flasque de vénus le volume d'orage aura masturbé les étoiles pornographie de parole se découvrant par jets prends-moi comme un squelette de coquillage donne-moi à sucer l'audace blanche du roc du déshonneur

Une confiance belle, un abandon en les pouvoirs du langage qui dépasse tout scepticisme et tout académisme :

l'épi majeur de la prière dans le grand champ des consolation n'oubliez pas qu'un chant nous élabore en quarantaine.

...

on m'a versée dans le futur sans me sevrer de la présence

On peut lire chaque poème comme un tout en soi, cohérent et complet, ou se plonger dans le flux du recueil comme dans un continuum. Instants quantiques ou durée bergsonienne, l'ambiguïté est voulue et demeure. Parfois le discours se cherche, s'égare, se retrouve. Pas de perfection froide et figée ici, mais une poésie vivante, charnelle, qui s'élève spirituellement dans un mouvement de quasi spirale :

le fleuve est remonté du chapelet étrange au dieu imaginaire

J'espère que NQ ma pardonnera d'avoir saucissonné la belle intégrité de son chant pour les besoins de cette notule, qui ne se prétend pas étude exhaustive, mais invitation à lire.

DH