Albert Camus et la guerre d'Algérie, d'Alain Vicondelet

Publié le 07 juillet 2022 par Francisrichard @francisrichard

Soixante ans après l'indépendance de l'Algérie, force est de constater qu'au pays natal d'Albert Camus les promesses de la révolution n'ont pas été tenues. Si l'auteur du Malentendu avait été écouté, l'Algérie n'en serait pas là. Mais, à défaut de pouvoir réécrire l'histoire, il n'est pas inutile de la revivre.

Alain Vircondelet, dans Albert Camus et la guerre d'Algérie, qui n'est pas une hagiographie, raconte quelle fut l'attitude constante de l'écrivain. Contrairement à bien d'autres hommes de gauche, il est resté fidèle à ses convictions humanistes et n'est pas resté indifférent au sort des autres habitants de là-bas:

Il a bien observé que la situation des Arabes au printemps 1939 est tragique. Il a déjà découvert les conditions pénibles d'existence dans les quartiers déshérités d'Alger, et lui-même, enfant de pauvres, connaît la détresse dans laquelle ils peuvent vivre, à quoi s'ajoute sinon un apartheid officiel, du moins une discrimination évidente et choquante...

Il ne se contente pas de l'observer. Il en fait un grand reportage 1 étalé sur plusieurs numéros d'Alger républicain, un document qui sera considéré par les autorités françaises comme une véritable bombe. Mais il ne cautionnera pas pour autant la guerre engagée par les rebelles en 1954 et qu'il a pressentie.

Albert Camus est très attaché à sa terre natale. Au début des années 1930, à Tipasa, qui fut cité romaine prospère et qui est l'offrande apaisée des ruines, il découvre un domaine divin où se célèbrent les noces de la mer et du ciel. Ce lieu magique lui apparaît comme la métaphore de la civilisation méditerranéenne:

Lieu d'exigence et de dons, de communion et de partage. Lieu de la mesure.

L'Algérie a pour lui une mission civilisatrice et il ne la conçoit pas autrement que fraternelle et solidaire. Il sait qu'avant les Français, elle n'a jamais été une nation. S'il dénonce les effets coupables d'une colonisation brutale, il n'oublie pas, comme certains, que les colons ont relevé le défi d'organiser le territoire.

Dans les articles qu'il livre en 1955 à L'Express, il démystifie l'image de ces colons, qui, hormis quelques grands propriétaires, mènent une vie modeste, beaucoup moins aisée, à travail égal, que celle de leurs homologues de métropole. Quoi qu'il en soit, pour lui, le terrorisme est surtout criminel et inadmissible:

Aucune cause ne justifie la mort d'un innocent.

Pendant toutes les années de guerre, de 1954 jusqu'à sa mort en 1960, il défendra tout haut le vivre ensemble des Français, des Arabes et des Berbères, puis voudra y croire en silence. Il condamnera les violences et le fanatisme des uns comme des autres, et interviendra discrètement pour des prisonniers de la rébellion.

Il se conforme à la leçon de mesure que, jeune homme, il a reçue de Tipasa, celle de l'équilibre et de la justice: respecter la dignité du peuple algérien, mais aussi protéger ceux de sa "race", comme il le dit, le petit peuple pied-noir qui n'a rien à voir avec le colon repu que les Français de métropole veulent voir en lui.

Le livre d'Alain Vircondelet retrace avec nuances ces années de guerre, où le sort de l'Algérie fut hélas scellé, et égratigne quelque peu les doxas française et algérienne. Albert Camus, qui aurait été épouvanté par ce qui advint des harkis et des Français condamnés à la valise ou au cercueil, nous laisse un message:

Camus est resté intègre et c'est sa leçon. Plus que le culte de Camus que beaucoup peuvent célébrer aujourd'hui, c'est "l'idée Camus", "l'énergie Camus", "le signe Camus" qui compte. 

Francis Richard

1 - Misère de la Kabylie

Albert Camus et la guerre d'Algérie, Alain Vicondelet, 304 pages, Éditions du Rocher

Chroniques précédentes sur Albert Camus (1913-1960):

Camus-Dire Noces avec Michel Voïta à l'Oriental Vevey (02.11.2017)

Le premier homme (18.02.2020)

Relire La Peste d'Albert Camus en temps de tyrannie (03.02.2021)