" Ma chère mère
Je suis à Saint Tropez. Je ne me baigne pas. Je ne me mets pas au soleil. Je ne bouffe pas, sauf des suppositoires, encore les bouffé-je du mauvais côté. Sans l'affection des vieilles personnes qui m'entourent, je dépérirais en quelques minutes. En bref, je passe des vacances ravissantes à tous points de vue et j'espère que tu fais de même. La mer est bleue mais moins bleue que mes yeux verts et les oiseaux de mer poussent des cris aigus en s'abattant sur les cadavres des estivants noyés par le mistral et parmi lesquels je ne compte que des amis. J'espère que mes bons frères et belles-sœurs ne manquent point de pluie. Ils sont là-bas pour ça. Toute plaisanterie à part, encore trente ans de repos et j'irai très bien. Ton fils affectionné - et embrasse tata et ma stupide sœur.
Boris.
Boris Vian, Lettre à sa mère datée Été 1956, extrait de l'ouvrage "Correspondance, 1932-1959." Arthème Fayard, 2020.