La passion de Yolande pour la Peinture, ce n'est pas à Gustave qu'elle la doit. Par contre, encore maintenant, chaque fois qu'elle prend un peu de recul pour voir où elle en est avec une de ses oeuvres en cours, c'est comme s'il était là, juste derrière elle. Silencieux, s'abstenant de juger, mais bien présent.
Yolande Mulatu s'est retrouvée toute seule à seize ans. Sa mère Solange a fait une tentative de suicide et s'est retrouvée dans un hôpital psychiatrique, et son petit frère Axel est mort dans ses bras, au cours de sa chute.
Préalablement son père Amadu Mulatu, un Éthiopien d'origine, a disparu sans laisser de traces. Gustave était le meilleur ami de ses parents et est devenu non pas son oncle ni son mentor, mais son ombre tutélaire.
La véritable destinée de Yolande est la peinture. Si elle habite Delémont, c'est de la grange de Gustave qu'elle a fait son atelier, le lieu où sa vocation de peintre pourrait s'épanouir, ne se souciant guère des ragots:
Cela avait fait jaser les gens: ce vieil excentrique et cette jeune métisse.
Les années ont passé et, à la fin des années 2010, Yolande Mulatu consacre désormais l'essentiel de son temps à son art, dans cette vieille grange, située sur une pente douce en plein pâturage, près de Porrentruy.
Les Démons de Mulatu décrit l'univers et le destin de cette artiste-peintre, qui n'a pas de complaisance pour le monde de l'art. Grégoire Müller, en connaissance de cause, dépeint l'envers du décor de celui-ci.
Car il y a des gens dans ce petit monde qui sont à l'affût de la perle rare et qui sont prêts à tout pour l'exploiter. Ce qui les intéresse, ce n'est pas tant la valeur artistique des oeuvres que leur valeur marchande.
Pour faire d'un artiste une valeur sûre, ces gens de ce monde artificiel développent une stratégie qui comprend vernissages de galeries, articles de presse, voire publications d'ouvrages, ventes aux enchères.
Un artiste, digne de ce nom, qui prend tous les risques de l'authenticité, ne peut qu'éprouver un malaise face à de telles manoeuvres, d'autant plus quand ses oeuvres révèlent volontiers son âme dans son intimité.
Amadu avait légué à Yolande une question, tirée d'un conte éthiopien: À quoi te fieras-tu: au hasard ou à ton intelligence? Elle avait fini par comprendre et admettre que, dans sa propre vie, l'un n'exclurait pas l'autre.
Avec la pandémie, l'artificiel du monde de l'art a atteint des sommets. Alors, si l'on ne peut s'en passer, le meilleur moyen n'est-il pas de s'en servir pour préserver des oeuvres dont le pouvoir est d'inspirer des vies?
Francis Richard
Les Démons de Mulatu, Grégoire Müller, 208 pages, Les Éditions de l'Aire