" Ces pensées formaient comme un brouillard dans son intelligence peu propre à la méditation, et il restait debout, cherchant à y voir clair. En ce moment apparut dans la rue une figure pour laquelle il éprouvait une violente antipathie (...). Tout le monde a fait de ces rêves pleins d'événements qui représentent une vie entière, et où revient souvent un être fantastique chargé de mauvaises commissions, le traître de la pièce. " (Balzac, "César Birotteau", 1837).
En l'occurrence, cet "être fantastique chargé de mauvaises commissions" était Mélanie Thomin, enseignante de français de 38 ans, élue le 19 juin 2022 députée Nupes-PS de la 6 e circonscription du Finistère, celle de Jean-Yves Cozan et de Kofi Yamgnane. Avec 50,9% des voix, elle a battu le député sortant Richard Ferrand qui fête son 60 e anniversaire ce vendredi 1 er juillet 2022.
Pour Richard Ferrand, c'est un peu l'histoire de César Birotteau en politique. Il n'est plus rien alors qu'il y a à peine un mois, il était le quatrième personnage de l'État, l'un des dirigeants suprêmes de la coalition majoritaire Ensemble et responsable du parti macroniste LREM. Symbole des premiers grognards du Président Emmanuel Macron, Richard Ferrand représentait trop le quinquennat précédent pour ne pas mobiliser ses adversaires dans une circonscription qui a souvent donné des résultats très serrés entre un candidat de centre droit et un candidat de centre gauche.
Pas breton mais aveyronnais (il est né à Rodez et y a passé une partie de son enfance), Richard Ferrand a adhéré au PS en 1980, attiré par François Mitterrand. À l'origine journaliste puis conseiller en communication, il fait partie de ces personnes complètement dédiées à la vie politique, apparatchik. Collaborateur du ministre Kofi Yamgnane (aux Affaires sociales) en 1991, il l'a suivi sur les terres bretonnes après son passage au gouvernement. L'ancien ministre lui a alors trouvé un job, directeur général des Mutuelles de Bretagne en 1998.
Parallèlement, Richard Ferrand s'est fait élire conseiller général du Finistère de mars 1998 à mars 2011 (Christian Traodec lui a succédé, également vainqueur de la mairie de Carhaix-Plouguer face à lui en mars 2001 et mars 2008) et conseiller régional de Bretagne de mars 2010 à juin 2021 (où il fut battu). Au conseil régional, il n'a jamais vraiment eu de courant qui passait avec le président, Jean-Yves Le Drian. Richard Ferrand était aussi vice-président du conseil général et président du groupe PS au conseil régional.
Pendant toutes ces années de militantisme et de socialisme bretonnant, Richard Ferrand s'est plutôt positionné à l'aile gauche du PS, soutenant la candidature à l'élection présidentielle de l'ancien Président de l'Assemblée Nationale Henri Emmanuelli, puis celle de François Hollande en 2007 (pas candidat), enfin celle de Martine Aubry en 2012. Si les personnes soutenues n'ont jamais été candidates à l'élection concernée, elles étaient toutes premier secrétaire du PS au moment de la campagne (c'est ainsi que justifiait Richard Ferrand a posteriori son positionnement, le légitimisme et pas l'aile gauche). Cependant, pendant le quinquennat de François Hollande, Richard Ferrand était considéré comme un député "frondeur" jusqu'en octobre 2014.
Entre-temps, effectivement, après une infructueuse tentative en juin 2007 (où il avait échoué avec 49,8% des voix), Richard Ferrand a réussi à se faire élire député PS du Finistère en juin 2012 avec 58,4% des voix. Le Premier Ministre de l'époque Manuel Valls l'a nommé en mission auprès du Ministre de l'Économie Emmanuel Macron du 3 octobre 2014 au 4 novembre 2014, afin de préparer la réforme des professions réglementées (ce fut la loi Macron ou loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dont il fut le rapporteur général). Les arrière-pensées de Manuel Valls étaient de "mouiller" les frondeurs du PS afin d'avoir le soutien de tout le groupe socialiste. Mal lui en a pris, car c'est par ce travail commun avec Emmanuel Macron qu'il est devenu l'un des rares parlementaires (avec Christophe Castaner) à avoir soutenu le futur Président de la République.
En effet, dès octobre 2016, Richard Ferrand a apporté son soutien à la candidature d'Emmanuel Macron, et fut bombardé secrétaire général d'En Marche (futur LREM). Après la victoire d'Emmanuel Macron à l'Élysée, il fut nommé Ministre de la Cohésion des territoires dans le premier gouvernement d' Édouard Philippe. S'il fut réélu député en juin 2017 avec 56,5% malgré la présence d'un candidat soutenu par le PS, il n'a pas fait partie du second gouvernement d'Édouard Philippe (comme François Bayrou, Marielle de Sarnez et Sylvie Goulard), à cause d'une mise en cause personnelle dans une affaire judiciaire. Pourtant, pendant toute la campagne présidentielle, Richard Ferrand ne s'était pas privé de charger le concurrent François Fillon sur l'honnêteté et la probité.
À la demande d'Emmanuel Macron, Richard Ferrand fut élu président du groupe LREM à l'Assemblée Nationale le 25 juin 2017, un groupe pléthorique de 308 députés (il a eu 306 voix), souvent novices en politique et qui ne se connaissaient pas. Richard Ferrand leur a servi de "guide" pour leurs premiers pas au Palais-Bourbon. Peu présent dans les travaux parlementaires, il était le rapporteur général de la réforme des institutions avec Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois.
Profitant de la démission du ministre Nicolas Hulot, Richard Ferrand est parvenu à conquérir ce qu'il convoitait le 12 septembre 2018 : la Présidence de l'Assemblée Nationale. Pour remplacer le ministre démissionnaire, Emmanuel Macron a opportunément nommé François de Rugy, libérant ainsi le perchoir. Son élection a été très laborieuse. Il a d'abord subi une primaire au sein du seul groupe LREM où il affrontait Barbara Pompili (proche de François de Rugy), Cendra Motin (députée de l'Isère proche d'Édouard Philippe) et Philippe Folliot (proche de Jean Arthuis). Yaël Braun-Pivet avait tenté de se présenter mais elle a subi certaines pressions "amicales" pour y renoncer.
Mécontents de ne pas avoir été associés à cette primaire, les députés du MoDem ont présenté la candidature de leur président, Marc Fesneau, qui a obtenu un score bien plus important que celui de son groupe politique, 86 voix, dont des dizaines du groupe LREM (ce bon score l'a conduit à bientôt être nommé au gouvernement). Ce 12 septembre 2018, Richard Ferrand a évité de justesse le second tour en recueillant seulement 254 voix sur 484 suffrages exprimés (et 505 votants, dont 21 blancs ou nuls), ce qui était fort peu (à seulement 10 voix de la majorité absolue). Annie Genevard (LR) a obtenu 95 voix, l'ancienne ministre Ericka Bareigts (PS) 31 voix et Mathilde Panot (FI) 17 voix.
Dans son discours à la suite de son élection au perchoir, le nouveau Président a déclaré : " Notre institution est sacrée, et je veillerai de toute mon énergie à sa vigueur comme au respect qu'elle appelle, sans lesquels notre République serait mise à mal. Nos débats sont souvent passionnés, et nos comportements, généreux d'enthousiasme, disons-le ainsi. Veillons ensemble à ce que les passions légitimes qui nous animent ne dégradent pas l'idée que nos compatriotes peuvent se faire de nous collectivement. Veillons à ce que la pertinence soit toujours mieux entendue que la seule impertinence. ". Apparemment, ce message n'a pas été entendu, puisqu'il y a eu plus d'abstention aux élections législatives suivantes qu'aux précédentes, après ses trois ans et demi de Présidence de l'Assemblée.
Pendant ces trois ans et demi, ce fut l'apogée de la carrière politique de Richard Ferrand : jamais il n'a eu autant d'influence sur la vie politique nationale, avec une oreille attentive du Président de la République. Mais peu apprécié par la classe politique, contesté pour son affaire judiciaire qui l'a empêché de revenir au gouvernement (mais pas d'aller au perchoir). Il fut battu aux élections régionales de juin 2021 puis fut battu aux élections législatives de juin 2022 : à ses 60 ans, le voici sans aucun mandat électif. En quelque sorte, Jean-Luc Mélenchon a décidé pour lui : la retraite à 60 ans !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 juin 2022)
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Pour aller plus loin :
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Le projet présidentiel 2022 du candidat Emmanuel Macron.
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