Bien sûr, il y aura toujours, là, se dressant face à l'avion qui s'affaisse au-delà du loop en venant du sud ou de l'est, l'éblouissement de cette cathédrale de pierre que forme la barrière architecturale qui borde Michigan Avenue. Chicago est notre cité américaine favorite. Elle est, elle aussi, une cité monde, comme Los Angeles, s'élevant au gré des migrations successives mais là où celle-là, dépourvue de centre, se dissout dans un espace sans bornes, celle-ci s'enracine dans les terres et vient se ficher au faîte du Midwest, symbole simultanément de puissance et de tolérance, comme San Francisco cette fois.
Pour une fois, on pourrait délaisser l'avion et traverser tout l'arc nord-est en voiture en s'engouffrant entre les Grands Lacs, reliant ainsi les confins de l'Algonquin à ceux du Wisconsin par l'Indiana et le Michigan. Pour une fois, à l'opposé des quartiers sud où Barack fit ses classes - et où ça continue de flinguer au milieu des ghettos -, l'on peut aussi esquiver la ville par l'ouest en remontant la I-294 vers le nord jusqu'à Highland Park.
Là, entre Northbrook et Waukegan, en bordure de la route de Milwaukee, le long du jardin botanique, s'étend, paisible et cossu, le quartier de Highland Park, entre le parc de Ravinia et le lac Michigan. Des villas splendides s'y enracinent entre les grands arbres de l'Illinois et les plages du Michigan, certaines se lovant même au-dessus du talus qui surplombe la côte à laquelle elles accèdent par des accès privatifs qui mènent à des recoins quasi déserts au-delà des zones de baignade. L'une d'elle sur Oakland Drive, juchée juste au bord de la ravine aujourd'hui asséchée qui traverse le quartier, est une ancienne maison coloniale britannique que la famille Pearlman a recyclé en bed & breakfast.
Depuis plus d'un siècle maintenant, de l'autre côté de la rue, Ravinia a donné son nom à un festival musical de renommée internationale qui, chaque année, tous les soirs entre juin et août, réunit une foule de plusieurs milliers de personnes, plus de trois mille dans la salle de concert ouverte, plus de dix dans le parc où d'innombrables petits groupes, le plus souvent familiaux, recouvrent la pelouse autour de délicieux pique-niques. Il y a quelques années encore, de richissimes familles y faisaient mettre le couvert par une domesticité abondante aux lueurs de grands chandeliers à côté de familles modestes qui se nourrissaient, elles, de Kentucky fried chicken.
Aujourd'hui encore, on chercherait souvent en vain des familles noires : elles sont quasi complètement absentes du parc, on n'en voit guère que quelques unes en bordure de la limite nord. Les Afro-Américains font en revanche l'essentiel du personnel de service dans les multiples stands de restauration. C'est comme si à la société esclavagiste du XIXe, puis à celle, séparée, du XXème siècle, avait succédé une société de service charriant des salaires de misère qui assurent tout juste le nécessaire derrière des regards souvent lourds de fatigue. On voudrait qu'avec Obama cette page se refermât enfin en ouvrant davantage de perspective derrière les baraques de foire.
Cela peut commencer par une symphonie de Mahler, la Symphony of a Thousand par l'orchestre national de Chicago dirigé par James Colon, se poursuivre avec un hommage aux musiques de film de John Williams (l'auteur des musiques de Star Wars, Jurrassik Park, Superman, Schnider's List... un vrai festival hollywoodien) par Eric Kunzel, se payer le luxe d'une variation gitane, à l'occasion arabisante, inattendue et enchanteresse en plein Midwest, avec des Gipsy King qui semblent avoir cdépassé le folklore, avant de revenir aux airs fameux de Broadway de Weill, Rogers & Hammerstein, Gershwin ou Cole Porter avec Threepenny Opera, Oklahoma ou South Pacific.
La musique, là, en plein milieu de ce festival découvert par hasard, malgré tout, c'est certainement un miracle et, si l'on croit un peu aux correspondances, c'est peut-être un signe.