À quelques jours d'intervalle, Qorus (ex-EFMA) récompense le caractère innovant de Noa, le chatbot de CaixaBank, tandis que celui de Cleo était valorisé un demi milliard de dollars à l'occasion d'une levée de fonds. Or malgré leurs dénominations identiques et leurs interfaces similaires, ces deux solutions n'ont à peu près rien en commun.
En réalité, ce sont deux stratégies qui s'affrontent et elles sont plus ou moins représentatives du fossé qui sépare classiquement l'approche plutôt conservatrice de l'innovation au sein d'un grand groupe de la réinvention des modèles existants qui guide les startups. Leurs différences concernent autant les technologies mises en œuvre et leurs principes d'implémentation que les objectifs visés… et elles déterminent probablement, dans une large mesure, l'échec ou le succès auprès des utilisateurs.
D'emblée, les positionnements respectifs de Noa et Cleo révèlent deux visions radicalement opposées de leurs plates-formes. Ainsi, la première, avec sa logique centrée sur les réponses aux questions fréquentes, prend une posture relevant essentiellement du complément au service client, alors que la seconde, en cherchant à offrir spontanément des recommandations personnalisées, prend un rôle de conseil de proximité, inexistant par ailleurs, y compris, en pratique, dans les établissements traditionnels.
Les outils sous-jacents reflètent les mêmes divergences, accentuées par les cultures informatiques en présence. La banque insiste (lourdement) sur son recours à l'intelligence artificielle, via le système Watson d'IBM, tout en laissant planer un doute sur la réalité de ses assertions quand elle précise les nombres de questions et de leurs formulations qu'elle sait traiter (ne s'agit-il pas simplement de règles préprogrammées ?). Du côté de la jeune pousse, l'IA n'est pas évoquée et ne paraît pas indispensable.
En revanche, elle met clairement l'accent sur les menus détails de l'expérience qu'elle propose, notamment à travers le soin qu'elle prend à employer un langage simple et compréhensible, exempt de tout jargon sectoriel, là où CaixaBank insiste beaucoup plus sur la capacité de son robot à comprendre ses interlocuteurs et leurs intentions. Voilà, de manière presque caricaturale, une autre expression saillante d'une démarche véritablement focalisée sur le client face à celle qui se contemple le nombril.
En prenant du recul sur la comparaison, ce sont bien les ambitions stratégiques des deux acteurs qui distinguent le plus leurs chatbots. Pour l'un, la priorité est l'efficacité opérationnelle, à savoir les économies qu'il est possible de réaliser dans le support aux usagers. Pour l'autre, a contrario, la cible consiste à repenser la relation avec le client.
Or ces orientations ont des conséquences profondes sur le ressenti et la satisfaction. En effet, les individus interagissant avec un agent logiciel qui prend explicitement la place d'un correspondant humain seront facilement critiques vis-à-vis de ses faiblesses et lacunes (ce qui justifie les taux d'adoption relativement bas fréquemment observés), quand ceux qui dialoguent avec un vrai assistant virtuel, fournissant un service inédit, seront certainement plus tolérants et patients envers les limitations qu'ils subissent.