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(Anthologie permanente), Claude Favre, Ceux qui vont par les étranges terres les étranges aventures quérant

Par Florence Trocmé


Claude Favre  ceux qui vont par d'étranges terresClaude Favre publie Ceux qui vont par les étranges terres les étranges aventures quérant.
Ceux qui vont par les étranges terres les étranges aventures quérant sont pour Chrétien de Troyes ceux qui errent, se trompent parfois, lisent entre les lignes, prennent hauts risques, écrivent parfois, inquiètent les automatismes, ébranlent les cadres, déterrent les noms secrets, monstres singuliers, précipitent la vie

Je n’ai pas de maison

Seulement de l’ombre
Malcolm Lowry
N’imagine, les disparus, errants, perdus, les poursuivis
les contrôlés, aimant, les ombres et les enfants de
Deligny. Ceux du bord, boue de l’eau. Les vagabonds,
aimant. Déserteurs de clans. Fouteurs de vie en l’air. Qui
s’arrachent. Arrachent. A tout bout de champ. Rayés de
la carte. Mais les vrais noms ne sont pas sur les cartes. Et
les bateaux quittent vraiment les quais. D’aucuns jamais
ne reviennent jamais. Péris. En mer, en désespoir, en vie.
Péris pour la fortune. Tranchées cales métamorphoses.
Conteneurs sans air, boues des soutes, asphyxiés, au fond
noyés, foutus au fond, mourus, muets. Ou sous le galop
d’un cheval siècle devenu fou, fou. Fou cavalier aux
désirs fous. Par les étranges terres, les étranges aventures,
quérant.
(pp. 6 et 7)
Imagine. Sur la longue route. Qu'on ne puisse,
ni les poursuivre ni les emprisonner, ne pas lire leurs
traces, que nul autre que des leurs ne puisse les suivre.
Nuit est leur nuit. Trajets tatoués sur les corps et, sur la
longue route, en grande silence. En marche, rompus, de
marche longue fauves, boitant, un chien pelé trousses,
rossignol aux lèvres, et certains jours du souvenir, des
rires. On ne rêve pas toujours sur les routes. Parfois on
chante.
On marche, marche, dans les savanes marche,
dans les déserts, marche dans les forêts marche. Derrière
les rochers, à hauteur d'arbres, un fruit à la bouche, sauvés
des barbelés, parfois et avec un quelque chose de triste,
perdus parfois. Parfois si vieux, en dérouter le temps,
parfois enfant aux mémoires tailladées. Courant dans les
villages, volant des poules parfois. Tristes parfois.
(p. 39)
Souviens-toi, te souviens-tu des terres
cicatricielles, blessées recouvrant des hommes blessés,
des sept tonnes de cheveux de femmes transformés en
feutre, des herbes et des brindilles au vent. Vous nous
sommes.
Les histoires, pour certains Indiens, sont des êtres
vivants. Ont leurs ombres, et leurs ombres, qui sont filles
de nos voix, comme il n'y a pas deux ombres pareilles,
ni de phrases, sont traverses, tracés, veilles. Cisaillées
parfois.
Quand, parfois sans nom connus de nous, parfois
Cherokees, fiers, fiers alors dépouillés par loterie, leurs
terres anciennes usurpées, affamés par les baïonnettes de
l'État général en 1838, ne leur resta qu'à partir, loin de
leurs ancêtres. Leurs femmes, l'amour, est-ce qu'il n'y
a qu'un nom, pieds nus, quittant leur terre, sur la piste
des larmes, mutiques, titubant, titubant, sur la longue, la
longue, l'obstinée longue route des larmes.
(p. 71)
Claude Favre, Ceux qui vont par les étranges terres les étranges aventures quérant, Éditions LansKine, 2022, 88 p., 14€
Sur le site des éditions Lanskine
« Ceux qui vont par les étranges terres / les étranges aventures quérant parle des “Présents-absents”, réfugiés, Palestiniens, proscrits jetés au bagne ou dans les camps, ou ceux qui deviennent chair à canon, femmes violées, des esclaves ou des sdf...tous ceux, à travers l’histoire que l’on oublie, ne voit pas, n’entend pas, que l’on tue, massacre. De courts paragraphes saisissants, pour restituer les gestes du bourreau, le regard de celui “qui va par les étranges terres”. Le titre, emprunté à Chrétien de Troyes qui nommait ainsi les chevaliers qui s’engageaient dans la quête du Graal, fait de tous ces “laisser pour compte” les chevaliers d’une épopée moderne, leur redonnant noblesse et grandeur.
Ceux qui vont par les étranges terres / les étranges aventures quérant, dès le titre, ce texte opère un basculement passionnant, car il donne aux réfugiés et à ceux maltraités par l’histoire le statut de Chevalier de la Table ronde, retour aussi sur les prémisses de la littérature française. Succession de paragraphes courts dans lesquels noms, adjectifs sont jetés et se juxtaposent, les verbes sont souvent absents ou alors se succèdent dans un flux qui rend l’urgence, l’essoufflement. Le mouvement devient langue dans un flux langagier et un flux d’affects, un flux du monde, le temps s’accélère, se brouille, se mélange.
Claude Favre est une poète et performeuse française. À partir de 2005, elle publie de nombreux textes dans des revues/papier telles qu’Action poétique, Aka, Esprit, Gare maritime, Hex, Série discrète, Espace(s), Nioques, Pli, Hector, Attaques..., puis à partir de 2007 dans les revues numériques Poezibao, Libr-critique, Remue.net, La vie manifeste, Diacritik... préférant le laboratoire que sont les revues à l'édition stricto sensu.
Elle collabore parfois au Cahier critique de poésie du Centre international de poésie Marseille.
Elle pratique des ateliers et stages d'écriture, de lecture à voix haute et Musique et Voix avec le violoniste Dominique Pifarély.
Elle est traduite en allemand et slovaque. Des articles sur son travail sont publiés dans Poezibao, Libr-cri-tique, Sitaudis, Diacritik, L'autre quotidien.


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