Votre métavers, goût maître du monde ou libertaire ?

Publié le 26 juin 2022 par Patriceb @cestpasmonidee
En apparence, le changement de nom de Facebook Pay en Meta Pay n'est qu'une anecdote dans la longue histoire chaotique du réseau social avec les paiements. Cependant, à travers sa manière de présenter la nouveauté, Mark Zuckerberg exprime sa vision des métavers… aux antipodes de ce dont rêvent les idéalistes de la décentralisation.
Le concept, issu de la littérature de science-fiction de la fin du XXème siècle, est devenu tellement flou qu'il en existe aujourd'hui presque autant de définitions que de personnes qui tentent de le cerner. Mais les écarts les plus extrêmes sont clairement ceux qui séparent l'approche envisagée par le patron de Meta / Facebook et celle, dominante, des tenants du web3, avec leur rêve utopique d'un monde virtuel dans lequel chaque personne prend le contrôle de sa vie, en dehors de tout pouvoir centralisateur.
Il n'est évidemment guère surprenant qu'une telle perspective soit catégoriquement rejetée par la personne qui a bâti un empire en imposant son emprise quasi absolue sur les relations sociales en ligne de près de 3 milliards de personnes sur la planète. Dans l'esprit de Mark Zuckerberg, le métavers est donc la prochaine étape logique pour son entreprise, sans aucune remise en question : il s'agit du prolongement naturel et inévitable de sa conception du web commercial dans un univers immersif en 3 dimensions.
Certes, quand il évoque l'hypothèse lointaine d'une interopérabilité rendant possible de jouir de ses biens numériques (vêtements, art, musique, films, événements…) dans tous les espaces disponibles, il prétend ne pas viser au monopole. Mais ce n'est qu'un trompe-l'œil, identique à celui de Facebook : grâce à son omniprésence sur les écrans des internautes et des mobinautes, il sait que ses plates-formes seront les plus utilisées pour l'acquisition et les échanges de ces objets virtuels, qui lui assureront la suprématie.

Le plus fâcheux dans ce paysage que je noircis à peine est que, selon toute vraisemblance, rien n'arrêtera Meta dans sa trajectoire et que les autres incarnations de métavers, si elles voient le jour et quand bien même elles ne tendraient pas vers des dérives similaires (fortement attractives pour les investisseurs), risquent de devoir se contenter de la portion congrue du marché, avec des solutions réservées à de petits groupes et à des segments de niche (quelques jeux indépendants, notamment).
Car, outre sa position hégémonique actuelle, la parente de Facebook a engagé une stratégie de bulldozer, assortie d'investissements en milliards de dollars, dans le but de garantir son avenir à long terme et écarter toute menace de décentralisation. Ses travaux extraordinairement coûteux en direction de la production des lunettes de réalité virtuelle en sont l'exemple le plus emblématique : sur les traces d'Apple et l'iPhone, elle compte capitaliser sur le matériel pour devenir incontournable dans les métavers…
Même si les tensions contradictoires internes ne mettent pas à bas les espoirs d'un internet véritablement distribué, il faudrait être naïf pour imaginer que les géants technologiques en place se laissent dépouiller de leur puissance sans réagir. Ils sont d'ailleurs prêts pour ce faire à s'approprier, en les détournant si nécessaire, les concepts à la mode (tels que les NFT). Ce sont ainsi deux visions irréconciliables du monde qui s'opposent et le déséquilibre de leurs forces respectives suggère une issue prédictible.