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Déesses profanées, de Shemsi Makolli

Publié le 19 juin 2022 par Francisrichard @francisrichard
Déesses profanées, de Shemsi Makolli

La guerre est le moyen d'obtenir ce que l'on désire par la spoliation plutôt que par l'échange. Elle s'accompagne toujours d'horreurs parce que la spoliation va de pair avec la violence.

Il ne faut jamais croire ceux qui prétendent que, dans une guerre, il y a un camp du Bien et un camp du Mal. Tous les camps font du mal et les premiers responsables en sont les dirigeants.

Il ne faut donc jamais taire les horreurs d'un camp, quelles qu'elles soient, parce que c'est s'en rendre complice, mais cela ne veut pas dire qu'il faille s'imaginer que l'autre est innocent.

Ce recueil est une Élégie aux vingt mille femmes albanaises violées par l'armée et la police serbes dans la guerre du Kosovo de 1998-99. Bertil Galland en résume l'intention dans sa préface:

Ce n'est pas un aveu de culpabilité requis des criminels, mais l'exilé lui-même qui se confesse.

Shemsi Makolli n'était pas sur place au moment de ces crimes. Exilé en Suisse, il se reproche surtout de n'avoir pu les empêcher et le fait savoir en s'exprimant par où il excelle, l'élégie.

Ce chant grave, pour reprendre l'expression de Bertil Galland, comporte quatre parties:

1) Déesses profanées, dans laquelle le poète s'interroge sur le sens de l'existence de celles qui l'ont été, qui plus est ont été torturées et ont donné naissance à de nombreux enfants non désirés.

Pourquoi?

Qu'elles s'appellent Leonora, Kristina ou Florié

L'appartenance albanaise est suffisante

Pour justifier une haine débordante

Viol et massacre.

2) Désespéré j'interrogeais le monde, dans laquelle le poète part à la recherche de déesses qu'il a connues au pays et à qui il a fait la promesse non tenue de revenir les défendre et faire revivre la patrie:

Cet égarement fut trop long

La vraie vie était ailleurs

La réalité était beaucoup plus dure

Là-bas on ne buvait plus le liquide d'éternité

C'était le sang qui coulait

Dans les rivières de mon pays.

3) Après la liberté que faire de la vérité, dans laquelle le poète s'adresse aux garçons et aux filles conçus dans le viol, à qui l'on a préféré cacher que leurs procréateurs étaient criminels de guerre:

On vous a condamnés à vivre

Oiseaux perdus et sans identité

Vous ne pouvez penser à votre passé

Vous avez peur de vos rêves.

4) Mea culpa, dans laquelle le poète ne sait comment expier d'avoir été lâche, le pardon des femmes violées et ses bonnes résolutions ne suffisant pas pour lui mériter la grâce d'une bonne mort:

Se peut-il que la mort ne veuille plus de moi?

Dans ce monde je ne sers plus à rien

Dans l'autre je crains d'être de trop.

Cette élégie rappelle - on ne le dira jamais assez - qu'aucune guerre n'est jolie, qu'il en est seulement de plus laides que d'autres et que, parmi les victimes, il peut y avoir morts d'âmes...

Francis Richard

Déesses profanées, Shemsi Makolli, 64 pages, Éditions de l'Aire

Recueils précédents:

L'anatomie du rêve (2017)

Élégie d'automne (2021)


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