" Est-ce que c'est l'enfer après ? Est-ce que c'est comme quand on dort ? Si c'est ça, je signe toute de suite... " (Jean-Louis Trintignant, le 11 décembre 2018).
Et discrètement, le grand acteur s'en est allé ce vendredi 17 juin 2022 " paisiblement, de vieillesse " a dit la famille. Jean-Louis Trintignant était assurément parmi les plus grands acteurs français, ceux comme Alain Delon ou Gérard Philippe. Une voix qui assure, un regard qui inquiète, une gueule... mais un tempérament timide. C'est peut-être ce qui l'a "sauvé".
Des études de droit qu'il a abandonnées pour le théâtre, sa passion, et le cinéma s'est invité à sa vie : quand à l'âge de 25 ans, vous devenez le partenaire de Brigitte Bardot dans un film à succès, "Et Dieu... créa la femme" de Roger Vadim (sorti le 28 novembre 1956), vous devenez une star éclatante, tout est possible. Jean-Louis Trintignant l'a confié bien plus tard : Brigitte Bardot lui a donné confiance en lui, en ses capacités de séduction... momentanément. Sur le moment, il a même cassé le fameux couple Bardot/Vadim... mais sa timidité a repris le dessus.
Dans sa tête, il n'était pas une star, il ne l'a jamais été. Patrice Duhamel qui l'a côtoyé de temps en temps le trouvait "normal". Pas au sens hollandien du terme, mais simplement qu'il était ordinaire, il aimait son travail comme un artisan consciencieux. Son travail, c'était le théâtre plus que le cinéma, parce qu'il y a le contact avec le public, et qu'il ne se sentait pas plus important qu'un autre, malgré l'argent, malgré la notoriété.
C'était pour le théâtre qu'il a réservé ses vieux jours. En 2018 encore, il faisait des lectures dans les théâtres. Des textes de Jacques Prévert, de Robert Desnos, de Boris Vian. Il se produisait un peu partout, Salle Pleyel à Paris, Théâtre des Célestins à Lyon, etc. Il le faisait depuis 2010.
Bien entendu, ses nombreux films (cent trente) font de lui un personnage familier de la vie française, du cinéma français, surtout des années 1960, 1970 et 1980, à l'époque où les voitures avaient du caractère (il était lui-même pilote automobile), mais il y a une part de mystère dans cet homme. Un air assez réservé, peu expansif, qui ne laisse jamais rien paraître. Alors, étonnant ce rôle dans ce film de Roger Vadim, le mari de la belle ingénue, trompé forcément.
Après ce rôle phare, il s'éloigna des milieux cinématographiques pour cause de service militaire et quand il est revenu, ce fut une carrière éblouissante, sous la direction de réalisateurs exigeants (comme Claude Chabrol, Éric Rohmer, Pierre Granier-Deferre, François Truffaut, etc.). À ma connaissance, Jean-Louis Trintignant n'a joué dans aucun navet, pourtant ils étaient nombreux à l'époque. Il préférait du cinéma d'auteur.
Un autre film qui lui assura sa notoriété, ce fut "Un homme et une femme" de Claude Lelouch (sorti le 1966), qui a obtenu la Palme d'or à Cannes, où il a partagé le premier rôle avec Anouk Aimée. Très étrange d'ailleurs de se voir confier le même rôle plus de cinquante années plus tard, par le même réalisateur, dans l'un de ses derniers films : "Les plus belles années d'une vie" (sorti le 22 mai 2019) où il a retrouvé les mêmes acteurs (Anouk Aimée, Antoine Siren Souad Amidou) dans leur même rôle d'antan (au scénario, toujours la collaboration de Valérie Perrin). C'était le troisième de cette série. Le numéro deux était "Un homme et une femme : vingt ans déjà" (sorti le 1985) avec le coupe Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée et aussi Richard Berry, Évelyne Bouix, Charles Gérard, etc. Claude Lelouch a aussi réalisé avec Jean-Louis Trintignant la suite de son film "L'amour, c'est mieux que la vie" (sorti, lui, le 9 septembre 2021 avec Sandrine Bonnaire et Gérard Darmon), qui sortira dans les prochains mois.
Ses deux plus grands thèmes, c'étaient l'amour et l'engagement. Il a attendu d'avoir 82 ans pour obtenir son unique César du meilleur acteur, pour un rôle de "vieux", dans "Amour" de Michael Haneke (sorti le 24 octobre 2012), plébiscité aussi par la profession (comme la plupart de ses grands films). Le film parle du drame de la vieillesse dans le couple, drame car forcément, l'un va être plus faible que l'autre, le drame de la dépendance (avec Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert et aussi le pianiste Alexandre Tharaud).
Dans les nombreux films qu'il a tournés, j'en avais cité deux il y a un an et demi, que j'appréciais particulièrement. Dans "Z" de Costa-Gavras (sorti le 26 février 1969), Jean-Louis Trintignant joue le rôle du "petit juge" qui veut aller jusqu'au bout de son enquête pour découvrir les auteurs d'un assassinat politique en Grèce. Ce juge, devenu Président de la République, Khristos Sartzetakis l'a devancé de quelques mois... Un film plus léger, "Le bon plaisir" de Francis Girod (sorti le 18 janvier 1984) avec Michel Serrault et Catherine Deneuve, adapte un roman de Françoise Giroud dans une ambiance très giscardienne.
Ce mystère de l'acteur, cette réserve, cette ambiguïté ont été renforcé par les tragédies, celle de ses deux filles. " Je voudrais pas crever avant d'avoir goûté la saveur de la mort. ". C'est l'une des phrases de Boris Vian que Jean-Louis Trintignant lisait sur scène et cette phrase lui faisait sens malheureusement. Pauline est morte quand elle était bébé, étouffée probablement par une régurgitation de lait, et Marie, qu'il adorait tant, avec qui il a tourné, sous les coups de son ex-compagnon. Deux blessures à l'âme qui n'ont jamais pu se cicatriser.
Atteint depuis plusieurs années d'un cancer, Jean-Louis Trintignant sera enterré aussi discrètement que sa modestie le voulait, dans l'intimité familiale, loin des projecteurs, loin des caméras, loin des paillettes, dans cette relation authentique qu'il avait tissé avec la vie et la mort. Merci, Jean-Louis Trintignant !
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Sylvain Rakotoarison (17 juin 2022)
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