En l'honneur de l'anniversaire d'Arnaud, un texte extrait de Adhyatma yoga, À la recherche du soi I
Je vais donc prendre un exemple très simple. Contre lequel vous ne vous révolterez pas et qui ne soulèvera pas d’émotion profonde dans vos inconscients respectifs. Imaginons une jeune fille d’un milieu social moyen, disons bourgeoisie moyenne, ni la fille de Rothschild, ni une fille vivant dans la pauvreté. Elle passe son bachot. Elle a un parrain qui ne lui fait plus de cadeau depuis qu’elle n’est plus une petite fille, qui a même oublié la date de son anniversaire et qui lui dit : « Écoute, si tu es reçue à ton bachot de terminale, je te fais un très beau cadeau. Il y a longtemps que je ne t’ai rien donné, ça fait des années, j’ai des tas de cadeaux en retard, je te fais un très beau cadeau. Qu’est-ce que tu voudrais ? » La fille dit : « Parrain, je n’ose pas te le dire, c’est un très beau cadeau. » – « Et quoi ? » – « Un vélomoteur pour 85 jeune fille. » – « Ça coûte combien ça ? Mes prix sont peut-être dépassés. » – « 1 500 F. » – « Écoute, dit le parrain, tu réussiras bien à compléter et, si tu es reçue, je te donne 1 000 F. » C’est un très beau cadeau pour une fille de dix-sept ans. La voilà très heureuse mais, comme elle n’a pas encore ce bachot de terminale, elle n’a donc pas les 1 000 F et elle n’est pas emportée par l’émotion. Elle travaille bien, elle est reçue et elle demande à ses parents : « Qu’est-ce que je fais ? » Les parents lui répondent : « Écoute, c’est nous qui allons prévenir parrain, c’est plus discret. » Les parents préviennent parrain. Suivez bien cette petite histoire inoffensive, le chemin, la vérité, la sagesse suprême, tout est contenu dans cette petite histoire. Voilà qu’arrive une enveloppe de format allongé, comme celles où l’on met un chèque qu’on ne veut pas plier et, sur l’enveloppe, l’écriture du parrain. Notre jeune bachelière l’ouvre. Il y a un petit mot de l’écriture de parrain et un chèque. Elle lit le petit mot : « Bravo ; reçue ; je suis fier de toi ; voilà le cadeau promis ; sois heureuse. Parrain. » Sur le chèque, il y a marqué en chiffres et en lettres : « Payez 500 F à l’ordre de Mlle Sophie Dupont. » Quelle émotion ! Suivez-moi bien. Cette petite histoire, c’est la vie de l’humanité jour après jour, minute après minute. Voilà que cette jeune fille est désespérée de recevoir 500 F. 50 F ce serait déjà beau, 500 F c’est magnifique. Vous croyez qu’elle est heureuse de recevoir 500 F ? Ah ! son cœur se serre et la voilà malheureuse. Pourquoi ? Parce que sur le chèque de 500 F qui est la seule réalité – « c’est, c’est ; ce n’est pas, ce n’est pas » – le mental surimpose un second : le chèque de 1 000 F qui n’a aucune réalité d’aucune sorte, ici et maintenant. Et c’est cette surimposition, cette création d’un second par le mental, qui produit l’émotion douloureuse. Si la jeune fille pouvait être « un avec » le chèque de 500 F, sans qu’il y ait entre elle et le chèque de 500 F l’épaisseur d’un cheveu de non-adhésion, le chèque de 1 000 F n’aurait aucune possibilité d’intervenir dans la situation et cette fille n’aurait pas de « mental ». Elle serait une avec la réalité relative du monde phénoménal, elle serait sans émotion, elle aurait un sentiment réel. « Un chèque de 500 F, c’est magnifique, il y a tant de filles qui ne les ont pas et je vais pouvoir faire beaucoup de choses avec cet argent. » Elle aurait aussi la possibilité d’agir sans émotion : « Voyons, parrain m’avait promis 1 000 F, il m’envoie 500 F ; est-ce qu’il a été distrait, est-ce qu’il oublie ? Je n’ose pas trop en reparler, qu’est-ce que je peux faire ? » Ses parents lui auraient peut-être dit : « Écoute, nous sommes assez intimes avec parrain pour, au moins, lui poser la question. »
Je reprends ma même histoire. Un parrain dit à sa filleule : « Qu’est-ce que tu voudrais, si tu es reçue au bachot ? » Le parrain veut faire un très beau cadeau. – « Ah ! une motocyclette. » – « je te promets 1 000 F. » La fille reçue au bachot, on avertit parrain, arrive une enveloppe du format allongé qu’on utilise si on veut envoyer un chèque sans le plier. À l’intérieur de l’enveloppe se trouve une petite carte avec l’écriture de parrain et un chèque. Sur la carte, il est marqué : « Reçue, je te félicite, je suis fier de toi. Voici un peu plus que le cadeau promis, comme ça tu pourras faire entièrement la dépense prévue. » Et sur le chèque il y a marqué 2 000 F. Je mets au défi cette jeune fille de ne pas être emportée par une émotion intense de bonheur. Cette jeune fille est condamnée au bonheur. Comme une marionnette dont quelqu’un, de l’extérieur, tire les fils. Elle ne se sent plus de joie. « À ces mots le cor beau ne se sent plus de joie », dit La Fontaine, à ce chèque la jeune fille ne se sent plus de joie. Pourquoi, pourquoi y a-t-il émotion ? Pourquoi est-elle emportée par l’émotion ? Parce que sur le chèque de 2 000 F, le mental surimpose le chèque de 1 000 F attendu. Celui-ci n’a aucune réalité d’aucune sorte, la seule réalité c’est le chèque de 2 000 F.
C’est. It is. Et tout le reste vient du Malin.
Arnaud Desjardins