Le niveau des élèves français est réellement stupéfiant : bien qu’apparemment un peu en dessous de celui de certains Ukrainiens, le baccalauréat est maintenant décroché par plus de 90% d’entre eux, sous les applaudissements de la foule et notamment des enseignants, de plus en plus ravis de faire le plus beau métier du monde.
Ou presque.
Il apparaît en effet que certains de ces professeurs – des ronchons, sans doute – se plaignent de voir autoritairement relevées les notes qu’ils attribuent aux copies qu’ils ont eu à déchiffrer noter dans l’épreuve du bac 2022. La polémique enfle : ayant noté une moyenne de copie, voilà qu’ils constatent que cette moyenne a été relevée, parfois de plusieurs points, et notamment pour les notes plus faibles.
Comment est-ce possible ? Entre la plateforme numérique sur laquelle sont saisies ces notes, les rectorats et toutes les petites mains administratives qui se battent tous pour l’excellence de nos chères têtes blondes, le mystère reste entier même si certains soupçonnent que l’idée générale d’une certaine « harmonisation » des notes ne suffirait pas à expliquer le glissement de ces notes (toujours constaté à la hausse).
Les autorités seraient-elles en train de maquiller les notations pour les améliorer, et camoufler ainsi le niveau médiocre des élèves ?
Vous n’y pensez pas ! Il serait inconcevable qu’on joue ainsi avec des chiffres pour brosser dans le sens du poil des élèves, des parents (qui sont des électeurs de façon indirecte) voire des autorités politiques, et d’autant plus qu’il ne fait en réalité aucun doute que les élèves français maîtrisent à l’évidence les arcanes de leur langue comme en témoigne le questionnement sur l’un des sujets de philosophie pour savoir si « ludique » n’était pas un mot trop compliqué dans l’intitulé.
Non, décidément, cette histoire de notes du bac mystérieusement relevées ne tient pas debout.
Ce serait… Ce serait… Ce serait comme insister qu’il y aurait eu plusieurs dizaines de milliers de faux billets distribués lors de la finale entre Liverpool et Madrid à la Finale de la Ligue des Champions disputée au Stade de France fin mai dernier : on sentirait de trop loin le gros bobard mal torché.
Cela n’empêchera pas Didier Lallemant, préfet de police de Paris, d’utiliser cette fine excuse pour expliquer la petite bousculade qui eut lieu aux alentours du stade lors de cette rencontre internationale par ailleurs très bien planifiée, organisée et gérée par l’ensemble des autorités en responsabilité.
Le retour à la réalité (2800 faux billets constatés) n’aura fort heureusement entraîné aucune sanction, aucune mise-à-pied ni prise de conscience pour notre élite dirigeante qui, en responsabilité toujours, a misé sur l’incident diplomatique avec le Royaume Uni plutôt qu’avec la Seine Saint-Denis.
Gentils décalages de notes au bac, petits pipeaux pieux pour le Stade de France, tout se déroule comme si notre administration et nos dirigeants n’étaient plus exactement en phase avec les chiffres réels et leur préféraient ceux qu’ils avaient méticuleusement concoctés : ces derniers ont un avantage d’aider à venir peindre une réalité différente, plus facile à appréhender et pour laquelle les problèmes (de niveau d’éducation, de criminalité, d’image de marque, …) s’évaporent miraculeusement.
C’est un peu comme cette inflation dont l’INSEE s’empare fébrilement tous les trimestres pour nous élaborer une quintessence de calcul irréprochable et systématiquement en décalage avec la réalité, décalage favorable avec le pouvoir ce qui est à la fois un hasard commode et une propriété presque inhérente à la façon de mener le calcul (ça tombe bien).
Et lorsque certains, hardis (et un peu foufous, soyons honnêtes) se demandent si ce chiffre n’est pas un peu sous-estimé, une fine analyse sera rapidement poussée pour conclure à une « divergence méthodologique » qui, rassurez-vous, ne change rien : oui, certes, l’immobilier et l’énergie sont complètement sous-côtés dans l’indice officiel mais c’est parce que Raisons A, B et C et tubulures chromées X, Y et Z et à la fin, hop, petit chiffre ici, soustraction là, voyez m’ame Ginette pas de quoi s’affoler : 3%, c’est vraiment tranquillou, respirez m’ame Ginette.
C’est un peu comme la dette. À 2800 milliards d’euros, on ne compte plus au milliard près, tout ceci serait mesquin. Et si l’on peut, là encore, s’arranger avec la réalité, on n’hésitera pas à le faire comme le président Hollande le fit à son tour sans la moindre vergogne. À la fin, la réalité finira toujours par cogner, mais au moins peut-on présenter temporairement, comme pour le bac, comme pour les exactions au Stade de France, comme pour l’inflation, des chiffres contrôlés et un narratif sinon séduisant au moins pas catastrophique, presque sympathique.
En somme, on habille, on nettoie, on accommode, on arrange, on ripoline vite fait, on embellit. On pose un décor dont l’épaisseur et la coloration du carton-pâte varie… mais qui reste un décor et petit à petit, l’État français ne propose plus qu’un bac Potemkine, qu’une éducation Potemkine, qu’une sécurité Potemkine ou qu’un service public Potemkine en général.
Et ce n’est pas nouveau, c’est même devenu extrêmement tendance ces dernières années avec toute la compagnie de clowns et d’histrions bariolés qui occupent le pouvoir actuellement.
Est-il utile de revenir sur les stocks (de masques, de vaccins, de lits et j’en passe) dans notre système de soins ? À chaque fois, les gouvernants ont feint la surprise en découvrant – toujours trop tard – que les chiffres annoncés étaient fantaisistes et les stocks largement fantasmés ?
Du reste, tout le système de soin est une magnifique illustration de cette potemkinisation : la façade montre un personnel mobilisé, des équipements modernes et des services au taquet pour assurer une qualité de soin irréprochable aux patients et à ceux qui payent, contribuables et assurés. L’envers du décor montre des services désorganisés, un personnel épuisé, démotivé et débordé et des urgences qui ne sont plus assurées.
Le pays Potemkine a probablement commencé à mesure que le décalage entre le discours politique et la réalité s’est fait trop violent pour être admis par le pouvoir en place, directement responsable de la dérive. On se souvient ainsi des voyants qui se remettaient tous tranquillement au vert de Mauroy dans les années 80, tout comme ce « sentiment d’insécurité » qui doit nous faire oublier les exactions de plus en plus nombreuses et violentes dont sont victimes les Français.
À présent, il n’est plus un domaine dont l’État s’est emparé qui ne se soit pas accablé de cet écart consternant entre sa devanture, vantée par toute la clique au pouvoir quel qu’en soit le bord politique, et les coulisses rafistolée aux indicateurs bricolés sans honte pour afficher une santé, des performances ou des caractéristiques de plus en plus irréelles.
Même si, maintenant, une majorité de Français semble avoir compris qu’ils se déplacent dans ce décor de carton-pâte, ce qui la pousse à marquer une pause dans sa participation au théâtre, un nombre considérable d’entre eux refuse encore de regarder la réalité en face : il n’est qu’à voir le nombre de citoyens prêts pour le marché de Nupes ou à remettre une couche de Renuisance pour comprendre que ceux-là se satisfont très bien de ce décor et de ces faux-semblants tant qu’ils en profitent.
Les législatives Potemkine vont donc se dérouler sans accrocs, et le parlement Potemkine, fraîchement élu, fera semblant d’exercer le pouvoir législatif.
Ce pays Potemkine est foutu.
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