(Anthologie permanente) & (A livre ouvert) Françoise de Laroque, Chambre jaune

Par Florence Trocmé


Françoise de Laroque publie Chambre Jaune aux éditions Eric Pesty
CIEL !
Le beau temps semblait éternel. Gris tombé soudain telle
une injustice.
Le grand bleu injure ou aide pendant l'épreuve ?
Grand bleu d'il y a plus de cinquante ans. Plus de vingt-
cinq ans. Plus de quinze ans.
Hivernal. Automnal. Printanier.
Décembre. Novembre. Juin.
Mère. Père. Mari.
N'aurais pas aimé l'enveloppement de la pluie, des nuages.
Bleu implacable, solennel, indiscret. Détonnant.
La douleur veut éclater. Un orchestre. Un opéra. Un
discours. Refuse qu'on la couvre.
D'autres façons, bien sûr, de la vivre. Que la contradiction.
Unisson. Alternance.
Gamme des douleurs. La lointaine. L'indirecte. Lue.
Entendue. Avec ou sans images. Commentaires toujours.
Creux pour la plupart. Outrecuidants. Se révolter. Ou
s'abstraire. Mais ombre portée.
De l'inédit dans les douleurs indirectes. Direct possible.
Chape universelle. Conscience persistante. Inscrite dans les
gestes. Même pour ceux établis derrière les haies en fleurs.
Le beau temps rayonnait sans ironie. Le printemps s'offrait
inégalement. Toujours un peu. Les arbres urbains fleurissent.
Vienne la pluie ! Les arbres ont soif. La rivière a baissé, De
petites îles dans son lit, Le bleu n'est pas nécessaire. Un
coin de ciel suffit. Quelle que soit sa couleur.
Âpre lutte pour le gagner. Dans la ville où les hauts
immeubles prétendent le gratter. Low income. Basement.
Ou fenêtre barrée par un fire-escape. Pare-soleil avant
que d'être pare-feu.
Bureaux à lumière artificielle. Tout le jour. Couloirs
aveugles.
La naissance du jour. Sa progression. Son déclin. La
privation de liberté s'est toujours accompagnée d'une mise
à l'écart de ce mouvement. Du cul-de-basse-fosse, de
l'oubliette aux quartiers de haute surveillance. Privation
de jour. Privation de nuit.
Venir au jour. Mettre fin à ses jours. Mettre à jour.
Velux autrefois vide. Que seul un nuage pouvait visiter.
Ont poussé dedans les deux cubes supérieurs de cet empi-
lement de trois qu'est le nouveau palais de Justice. Éclairé
la nuit.
Françoise de Laroque, Chambre jaune, éditions Eric Pesty, 2022, 20 p., 10€, pp. 11-12
Sur le site de l’éditeur
Chambre jaune a été écrit pendant le printemps 2020. L’inattendu de la situation de confinement, qui coïncide avec la rénovation prévue de l’appartement où vit la narratrice, l’oblige à se retirer provisoirement en province. Chambre jaune se compose de sept chapitres qui superposent le temps présent, suspendu, à des souvenirs évoqués par allusion ou à des questions d’écriture : délicate corrélation dont la plus juste figure serait celle de la parenthèse dans l’économie de la phrase.
Sur un plan formel, le phrasé de Françoise de Laroque progresse dans un style coupé, jouant son unité narrative entre phrase courte et paragraphe, peut-être sous l’inspiration des théories de Gertrude Stein dans la première moitié du XX° siècle, ou des réflexions autour de la New Sentence aux États-Unis dans les années 80, et plus probablement encore dans la filiation de l’écriture de Rosmarie Waldrop que Françoise de Laroque a plusieurs fois traduite.
Ainsi transposée à la langue française, la « nouvelle phrase » met en valeur l’importance des accords grammaticaux qui, entre attente et enquête, assurent l’irrigation du sens dans le récit.
Françoise de Laroque est née et vit à Paris. Elle est enseignante, critique et traductrice. Elle a eu l’occasion de suivre dès l’origine « l’aventure » d’Orange Export Ltd. et a publié dans diverses revues (Critique, CCP…) des textes concernant les œuvres d’Anne-Marie Albiach, Claude Royet-Journoud, Pascal Quignard, Emmanuel Hocquard. Elle a passé deux ans à New-York (1981-83) où elle a rencontré la plupart des « Language poets ».
Elle a traduit (en revues, anthologies, livres) Paul Auster, Rosmarie Waldrop, Keith Waldrop, Ted Pearson, Tom Raworth, Michael Palmer, Barbara Einzig, Helena Bennett…
Chambre jaune est son premier livre de création.