" Je déclare devant vous tous que toute ma vie, qu'elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous. " (la future Élisabeth II, le 21 avril 1947 en Afrique du Sud, au micro de la BBC, à son 21e anniversaire).
Comme annoncé, du jeudi 2 au dimanche 5 juin 2022 a été célébré en grandes pompes le Jubilé de platine de la reine Élisabeth II qui règne sur le Royaume-Uni depuis soixante-dix ans. Ce fut l'occasion pour le peuple britannique de faire des festivités et d'honorer leur monarque et même leur monarchie.
Mais avant d'aller au-delà, reprenons le mot et les dates.
Le mot "jubilé" est principalement utilisé dans la religion catholique. Il sert généralement à célébrer un cinquantenaire. Le jubilé d'un prêtre correspond au cinquantième anniversaire de son ordination, il le fête généralement autour de sa retraite (vers 75-80 ans). C'est l'équivalent, pour les mariés, des noces d'or.
Dans l'Église catholique, c'est aussi une période de forte intensité spirituelle, période aussi de pardon et de conversion, qu'on appelle également "année sainte". Depuis 1300, il y en a tous les cinquante ans puis tous les vingt-cinq ans, et depuis le XX e siècle, le pape peut proclamer des années saintes extraordinaires, avec des thèmes particuliers. Les deux derniers jubilés furent le Jubilé de l'an 2000 proclamé par Jean-Paul II et le Jubilé de la Miséricorde proclamé par le pape François qui a eu lieu du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016 et célébrait le cinquantenaire de la clôture du Concile Vatican II. Ce jubilé a été historiquement particulier puisqu'il a été célébré par deux papes à la fois, avec Benoît XVI présent à l'ouverture, à la fête de l'Immaculée Conception (le 8 décembre 2015) à la Basilique Saint-Pierre de Rome.
Ce n'est pas étonnant qu'on utilise ce mot de vocabulaire pour la reine de Grande-Bretagne qui, en plus d'être une chef d'État (je n'écris pas "cheffe" car c'est vraiment moche au féminin), est aussi la chef des croyants pour l'Église anglicane (en d'autres termes, elle est à la fois reine et pape, enfin, mape ?).
Pour la reine, le Jubilé de platine correspond donc au soixante-dixième anniversaire. Ce serait (sera) un jubilé de chêne pour le quatre-vingtième anniversaire. Voyons rapidement la date : pourquoi au mois de juin alors que la reine Élisabeth II est devenue reine le 6 février 1952 ? Tout simplement parce qu'il fait nettement plus beau en Grande-Bretagne à cette époque de l'année. Ainsi, la famille royale a l'habitude de fêter les anniversaires au mois de juin : la reine (né le 21 avril) au mois de juin, le prince héritier (né le 14 novembre) au mois de juin... Seuls, le prince consort, décédé l'année dernière à quelques semaines de ses 100 ans, est né convenablement, c'est-à-dire au mois de juin (le 10 juin), ainsi que le petit-fils William (né le 21 juin).
Il faut du beau temps car une fête royale doit d'abord être une fête populaire, l'occasion de nombreuses animations en plein air, de défilés, de pique-niques géants, partout au Royaume-Uni (et même dans le Commonwealth, car la reine n'est pas seulement la reine du Royaume-Uni mais également de quinze autres pays qui l'ont gardée comme chef d'État, notamment le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Jamaïque et la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour cinq plus importants, mais le Commonwealth va plus loin puisque certains pays sont devenus des républiques, comme l'Afrique du Sud, l'Inde, le Pakistan).
Ce qui est remarquable, et impressionnant, c'est donc cette longévité de la souveraine. En soixante-dix ans, Élisabeth II a connu quatorze Premiers Ministres, de Churchill à Boris Johnson (qui vient, cerise sur le gâteau royal, de sauver son siège pour une année le 6 juin 2022 au soir, gardant la confiance des députés de son parti, le parti conservateur, par 211 voix contre 148 sur 359), en passant par Margaret Thatcher, Tony Blair et Theresa May.
Depuis presque sept ans, la reine a dépassé le record de la reine des reines, Victoria qui a régné autant sur le XIX e siècle que sur l'Europe, mais elle n'a pas dépassé le record européen (voire du monde) détenu (encore) par un Français (cocorico), le roi Louis XIV qui a été roi pendant plus de soixante-douze ans (il a commencé tôt, un peu avant ses 5 ans). Il faudra alors attendre le 24 mai 2024 pour que ce record soit atteint et c'est donc dans l'ordre du possible malgré la très grande vieillesse d'Élisabeth II. Elle a en effet eu 96 ans le 21 avril dernier, est évidemment très fatiguée, a du mal à marcher, mais elle ne semble pas malade et semble en pleine forme mentale. Sa mère est morte quatre mois avant ses 102 ans, et tout semble montrer que la reine a la même constitution robuste.
Élisabeth II impressionne, et pas seulement les Britanniques, par son tempérament, son abnégation et sa constance. Certains pourrait la trouver ennuyeuse et c'est sans doute vrai (ne pas vouloir donner son opinion politique, même pour une question aussi fondamentale que l'appartenance à l'Union Européenne, est compréhensible mais particulièrement ennuyeux par cette absence d'aspérité ; la neutralité en général est ennuyeuse). Mais elle tient à elle seule les institutions britanniques et c'est très important.
En France, nous n'avons pas de personne qui a cette souveraineté morale sur le pays. Le Président de la République est un politique clivant, qui a été élu à la suite d'une élection féroce à coups de clivages, il ne peut être comparé qu'au Premier Ministre britannique. Elle est une sorte de pape national qui règne dans les consciences des Britanniques. Je préfère nettement le système républicain (je ne vois pas au nom de quoi les rejetons d'un roi d'il y a plusieurs siècles seraient mieux à même de régner qu'un autre), mais je conçois que les Britanniques tiennent à leur monarchie.
Et ce n'est pas forcément évident d'être à ce point dans le respect institutionnel et moral. La Couronne britannique a eu son lot de scandales et de moqueries. La famille royale est une sorte de colonie de souris blanches sous observation permanente des médias, et avec les smartphones, les réseaux sociaux, toute vie privée est très difficile à assurer dans ces conditions (on peut donc comprendre l'expatriation du prince Harry loin des microscopes de la presse poubelle). La famille royale est une sorte de sitcom savoureux diffusé en temps réel, avec ses différents personnages auxquels le public s'intéresse : les mariages, les naissances, le gamin qui grandit, la fille qui se rebelle, le frère qui s'éloigne, l'oncle mouillé par une affaire très louche, etc. Rebondissements, recueillement (le grand-père disparu), communion... Bref, tout pour faire de cette série une épopée durablement attrayante.
Communion. C'est peut-être le mot qui me vient à l'esprit pour caractériser ce jubilé de platine. C'est peut-être la dernière grande fête nationale en hommage à Élisabeth II. Elle a fait l'effort de se présenter à ses sujets sur le balcon habituel au début (le 2 juin) et à la fin (le 5 juin). Certains étaient venus dix jours auparavant sur les lieux pour ne pas rater cet événement. L'idée était de présenter une image pacifiée et prometteuse de la monarchie britannique, c'est-à-dire d'assurer que la succession est bien là, en place, selon la composition des photographies officielles.
Il y a donc le Prince Charles (73 ans), probablement le dauphin sacrifié, qui sera roi, s'il le devient un jour, forcément déjà âgé (il l'est déjà) et qui ne pourra pas changer grand-chose alors qu'on pouvait imaginer beaucoup de créativité dans la modernisation de cette dynastie, de son protocole anachronique.
Il y a ensuite son fils aîné William (qui va déjà avoir 40 ans le 21 juin prochain). Il a tout ce qu'il faut, il est préparé et il est prêt. Il est le chouchou de la grand-mère. Il est marié avec une femme prête à faire la reine consort. Il est surtout le père de trois enfants, trois héritiers possibles dans cette branche prolifique. George (bientôt 9 ans) qui semble déjà éduqué dans l'optique d'une succession. Et puis sa sœur Charlotte (7 ans) et son frère Louis (4 ans). Louis a été la découverte de ce jubilé. Ses grimaces, ses étonnements ont ravi les photographes et les sujets de sa Majesté.
Toute la lignée était donc présente sur le balcon pour signifier aux Britanniques de ne pas s'inquiéter ; le seul job vraiment crucial d'un souverain est d'assurer sa succession durablement. C'était d'ailleurs le problème des deux empereurs français. Il ne s'agissait pas de faire seulement du politique mais il fallait aussi du matrimonial et du familial.
Alors, évidemment, on peut toujours se demander à quoi sert une reine d'Angleterre ? Eh bien, un souverain a une fonction symbolique très forte, très utile quand il faut soutenir la Nation lorsqu'elle est en danger. On l'a vu avec son père George VI lorsqu'il a appelé ses compatriotes à la résistance, ce qu'a bien retranscrit le film "Le discours d'un roi" de Tim Hooper (sorti le 24 décembre 2010).
La reine Élisabeth II a probablement prononcé son meilleur discours le 5 avril 2020, lorsqu'il fallait réagir face à la pandémie de covid-19. Elle a trouvé les mots justes qui ont touché bien au-delà du simple peuple britannique : " J'espère que dans les années à venir, tout le monde pourra être fier de ses actes face à cette crise. Et ceux qui nous succéderont diront que les Britanniques de cette génération étaient aussi forts que n'importe qui. Que les attributs de l'autodiscipline, de la résolution calme et de bonne humeur et de la sympathie caractérisent toujours ce pays. La fierté de qui nous sommes ne fait pas partie de notre passé, elle définit notre présent et notre avenir. ".
C'est en quelque sorte un coach de la Nation, quelqu'un dont on ne remet en cause ni la bienveillance et l'empathie envers le peuple. C'est peut-être ce qu'il manque en France quand on entend qu' un leader politique est capable de juger qu' une Première Ministre serait "inhumaine", comme si ce leader était habilité à délivrer des brevets de bonne humanité aux chefs de gouvernement. Même la reine ne se le permettrait pas.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 juin 2022)
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Pour aller plus loin :
Jubilé de platine et communion nationale pour la reine.
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220605-jubile.html
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