Dans une veine qui tient de l'adolescence et de sa rage simplifiée, et s'étire jusqu'à l'alliance des contraires sous forme de journal ancré dans un réel creusé d'évidences qui n'en sont pas pour tout le monde. Si cette rage n'est pas tant nouvelle, elle prend ici le chemin étroit d'une génération accusatrice, d'un âge qui n'en veut pas, d'un genre qui dérange et s'arrange heureusement, d'une sexualité débarrassée de repères ancestraux. Ce sont encore des modalités, encore une esthétique, l'art veut tout manger, le reste étant immangeable.
[...]
Je sèche complètement face au monstre de ma poitrine
J'abdique pleine de haine et aigrie, je me retire de
la scène. J'ai peur d'être utilisée, pompée, abusée,
réduite. Elle roule un pétard. Ça me rend froide,
pathologiquement secrète et jalouse. Je suis malade
et je ronge mon âme sciemment. Je poussière.
(p. 86)
Écriture inclusive, féminisation de certains termes, usage d'une typographie non binaire, pour une artiste résolument queer, voilà qui frise la cohérence. Ce livre coche toutes les cases de la modernité formelle du moment, mais ce qui importe tout autant c'est la crudité assumée des textes, leur proximité avec la vie raclée de près, le courage de poursuivre des pistes pas si faciles.
On croise dans cet ouvrage composite des dialogues troublés mal établis entre une Johnny et une Bébé, des manifestes toniques tel que celui des poètes vivantes ou celui de la langue bâtarde, de vraies-fausses citations avec rappel d'une lignée pas étrangère à la cause : Claude Cahun, Violette Leduc, Arthur Rimbaud (au féminin), Michelle Foucault (au féminin, oui), Katy Acker, Renée Vivien, Antonin Artaud et quelques autres.
La langue bâtarde est le fuit névrosé
de l'accouplement d'une langue littéraire ténue
avec un langage de rue, un argot rural, une langue
de trottoir, un dialogue vide de repas de famille.
Elle est vulgaire dans le sens où elle ne se soucie
pas de sa réception, elle est.
Elle parle trop fort, elle ne s'arrime pas là
où il faut, elle se contrefout des règles.
Elle s'invente au fur et à mesure qu'elle raconte.
Elle râpe.
Elle écorche.
Sa poésie naît du trouble, du mélange, du choc.
[...]
(p.66)
Le livre d'Élodie Petit pourrait bien être le fanion avoué d'une société surgissante, minoritaire et âpre, qui n'attend d'autre révolution dans de monde décomposé que celle qui se mène au quotidien, dans les rues du soir et dans les corps rendus lumineux. Le mot amoure s'écrit ici avec e, il est le vrai moteur de ces pages généreuses et vibrantes, peut-être provocantes pour des oreilles châtrées qui ne le resteront pas longtemps.
Jean-Claude Leroy
Élodie Petit est poète, plasticienne, performeuse, avec Marguerin Le Louvier elle a créé il y a quinze ans les éditions douteuses, un livre regroupant un choix parmi les publications de cette maison est sortie chez Rotolux Press en 2021, sous le titre Anthologie douteuse (2010-2020).
Élodie Petit, Fiévreuse plébéienne, éditions du commun, 124 p. 2022. 12 €.
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