Pourquoi est-ce que j’imagine la mort de Mandelstam
parmi les cocotiers qui jaunissent,
pourquoi ma poésie guette-t-elle déjà derrière elle
une ombre pour emplir la porte
et rendre invisible jusqu’à cette page ?
Pourquoi la lune s’intensifie-t-elle en lampe à arc
et la tache d’encre sur ma main s’apprête-t-elle pouce en bas
à s’imprimer devant un policier indifférent ?
Quelle est cette odeur nouvelle dans l’air
qui jadis était sel, sentait le citronnier à l’aube,
et mon chat, je sais que je l’imagine, bondit hors de mon chemin
les yeux de mes enfants semblent déjà des horizons
et tous mes poèmes, même celui-ci, veulent se cacher ?
*
Preparing for Exile
Why do I imagine the death of Mandelstam
among the yellowing coconuts,
why does my gift already look over its shoulder
for a shadow to fill the door
and pass this very page into eclipse?
Why does the moon increase into an arc-lamp
and the inkstain on my hand prepare to press thumb-downward
before a shrugging sergeant?
What is this new odour in the air
that was once salt, that smelt like lime at daybreak,
and my cat, I know I imagine it, leap from my path,
and my children’s eyes already seem like horizons,
and all my poems, even this one, wish to hide?
***
Derek Walcott (1930-2017) – Sea Grapes (1976) – Raisins de mer (Demoures, 1999) – Traduit de l’anglais par Claire Malroux.