Blaine ! Blaine ! Blaine !
L'esprit anarchiste émerge dans Made in France où les bras d'une croix gammée contiennent les noms de Zemmour et Le Pen (voir les récentes élections françaises), et sur le fanion de la police nationale quand il est imprimé avec les mots SUICIDEZ VOUZ. Il incarne aussi les robes du provocateur, pour cause juste selon moi, lorsqu'il compare l'Arc de Triomphe enveloppé par Christo à l'intervention d'un gilet jaune anonyme sur le même mouvement parisien nous demandant lequel est le meilleur. Julien avec son opus magnus s'impose comme une référence poétique et organisationnelle claire pour toute la communauté de l'expérimentation internationale. Je me souviens très bien de notre première rencontre à la fin des années 70, à Vérone à l'occasion de la énième manifestation organisée par notre compagnon et ami fraternel Sarenco. J'ai été frappé par la simplicité de la personne et en même temps la profondeur, peu de mots mais toujours bien ciblés et réfléchis. Et je pense que cette rigueur explicative est son plus beau cadeau aussi dans l'interprétation.
Chaque fois que je l'ai vu jouer, ce sens de l'essentialité reste imprimé dans l'esprit du spectateur, où rien n'est gaspillé ou improvisé, enrichi par un sens clownesque de la spectaculaire, revenant parfois au nu complet comme une moquerie ou une claque vers la respectabilité. Déraisons, tendance parfois au risque de se blesser quand dans la série intitulée La chute, il décide de se jeter à terre au mépris extrême du danger des escaliers raides ou de se jeter du haut des tables empilées sur la scène. Enfin, je me parle de sa voix, de sa voix puissante qui devient corsée, un troisième bras qui lui permet de catalyser l'attention du public sur scène.
Ici il est aussi poète sonore du fait qu'il accorde un rôle résolument fondamental à la vocalité, ce n'est pas par hasard qu'il est anthologisé dans des magazines comme Baobab ou des archives comme La Voce Regina et dans de nombreux autres CD ou vinyles. En conclusion, la sonorité tant écrite qu'orale reste la clé pour ouvrir le cœur technologique d'un protagoniste incontesté de la poésie internationale contemporaine : « ce son est celui de mon corps ou celui de cet espace, c'est un son de nature : voix viande &c., ou un son d'artifice : musique, bruits &c. »
Enzo Minarelli
Julien Blaine, Le Tome V « 2021 », Les presses du réel, coll. Al-Dante, 2022, 264 p., 30€
NDLR : Poezibao a accepté exceptionnellement de reprendre un article paru ailleurs (sur un blog de l’Université de Bologne)
Sur le site de l’éditeur
Le cinquième volume du « Biennale-Bouquin » (BB) ou « ALBUMANACH » (publication bisannuelle) de Julien Blaine, recueil de poésies lyriques et épiques, d'expérimentations visuelles et typographiques, de traductions de gravures préhistoriques, de témoignages sur des performances et déclarations, de carnets de voyages, etc. Ou comment le poète total se réinvente dans le présent au jour - au mois - à l'année - au siècle...
Dès le début des années 1960, Julien Blaine (né en 1942 à Rognac, vit et travaille à Marseille) propose une poésie sémiotique qui, au-delà du mot et de la lettre, se construit à partir de signes de toutes natures. Forcément multiple, il se situe à la fois dans une lignée post-concrète (par son travail de multiplication des champs sémantiques, en faisant se côtoyer dans un même espace des signes – textuels, visuels, objectals – d'horizons différents) et post-fluxus (dans cette attitude d'une poésie comportementale, où est expérimentée à chaque instant la poésie comme partie intégrante du vécu). Mais avant tout, la poésie s'expérimente physiquement : elle est, d'évidence, performative. Ses performances sont nombreuses, qui parfois le mettent physiquement en péril (Chute, en 1983, où il se jette du haut des escaliers de la gare Saint-Charles à Marseille : violence de cette dégringolade incontrôlable, et la réception, brutale, au sol, quelques centaines de marches plus bas… puis Julien Blaine met son doigt sur la bouche et, sous l'œil d'une caméra complice cachée parmi les badauds médusés, murmure : « chuuuuut ! »). Mise en danger du corps, et mise en danger du poète, qui toujours oscille entre grotesque et tragique, dans une posture des plus fragile, car « le poète aujourd'hui est ridicule ». Performances, livres, affiches, disques, tract, mail-art, objets, films, revues, journaux… sa production est multiple, mêlant éphémère et durable, friable et solide. Pas un outil, un médium qui ne lui échappe. Mais rien qui ne soit achevé, arrêté. Car pour Julien Blaine la poésie est élémentaire, tout ce qu'il produit est fragment, indice d'un travail toujours en cours, document d'un chantier poétique à chaque instant renouvelé. Tous ces « résidus » doivent être lus en soi et en regard de ce qui nous entoure.