En l’espace d’une petite dizaine d’années, le trio new-yorkais se sera fait un nom à double tranchant. En effet, leur tout premier album Fever To Tell les avait placé, en 2003, dans la continuation de tous ces groupes revival du Rock 70’s, à l’instar par exemple de The Strokes ; pour autant, les Yeah Yeah Yeahs se rapprochaient plus de la fureur du punk et toute son imagerie, amplement teintée de psychédélisme – ou, plus simplement, de folie. Avec leur troisième album, en 2009, le succès critique éclatera encore plus, les propulsant au devant de la scène rock teintée de sonorités dansantes tout en conservant cette énergie qui, toujours, semblera caractériser le groupe mené par Karen O, parfaitement secondée par Nick Zinner et Brian Chase.
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À l’instar de l’illustration crado-punko-arty, la musique des Yeah Yeah Yeahs est pleine de couleurs et de vie, et ne semblait sûrement pas espérer un tel succès critique. Alors, à qui la faute ? Sans hésiter, les mélodies (physiquement) accrocheuses, (douloureusement) percutantes, (joyeusement) criée par la leader charismatique Keren O, dont tout le monde ou presque connaît, si ce n’est le visage, la voix.
Au choix, vous adorerez ou détesterez Fever To Tell. Pour l’instant, Fever To Tell s’avère à chaque écoute moins abrupte, plus lyrique, donc appréciable. En dépassant le côté primaire, voire animal de leur musique, la beauté humaine de leur composition se laisse dompter.
Comme vous pourrez le lire partout, « Maps » en est le morceau-clé, une sorte d’œil du cyclone : on sent bien qu’on est au milieu d’un espace en total mouvement de destruction qui ne laisse rien intact, mais la beauté se cache là où on ne la chercherait jamais.
Fever To Tell, c’est les Yeah Yeah Yeahs à l’état brut, comme si Brian Chase, Keren O et Nick Zinner s’étaient eux-mêmes mis en lambeaux à l’époque.
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Le trio de morceaux liminaires est d’entrée épatant, pour ne pas dire éclatant : « Gold lion », « Way out » et le très bien nommé « Fancy » poursuivent là où Fever To Tell nous avait laissé, mais avec davantage de sûreté. À l’inverse, des titres comme « Phenomena » ou « Honeybear » auraient tout à fait pu figurer sur le premier LP.
Le calme vient très justement se poser « Cheated hearts », qui pourtant s’envole au moment opportun. Car, ne l’oublions pas, les YYYs continuent de faire une musique à l’esprit résolument punk, quels que soient leurs choix artistiques. « Dudley » garde le tempo alors que « Mysteries » l’accélère carrément… pour que « The sweets » le ralentisse à nouveau au début puis s’énerve en fin de titre.
« Warrior » commence acoustiquement, puis s’électrise, avec la présence de Dave Sitek sur un sampleur MPC, ainsi que comme sur chaque album du trio désormais en tant que producteur. Avec « Turn into », il faut bien avouer que It’s Blitz ! n’est pas loin d’être annoncé, ou prévisible.
En bonus sur la version britannique, « De ja vu » ne dépareille pas du reste de l’album, néanmoins impose un rythme un peu trop énergique pour figurer en conclusion.
Au final, si Show Your Bones reste un très bon album des YYYs, l’ombre du précédent notamment (ou de son successeur pour mon avis très personnel) pèse sur lui. Dommage car, dans l’absolu, c’est un album au moins aussi bon, et même s’il a de toute évidence été beaucoup plus réfléchi et travaillé, il n’y perd absolument pas en fraîcheur, loin de là. Peut-être grâce à la voix de Karen O qui ne faiblit jamais.
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J’avoue avoir été très agréablement surpris pas l’évolution du trio sur It’s Blitz! « Zero » ouvre ainsi parfaitement l’album, et c’est effectivement un excellent choix de single, tout comme « Heads will roll », qui est encore plus efficace avec son refrain absolument entêtant.
« Soft shock » nous repose un peu, tout en restant joliment rythmé, surtout en fin de morceau. « Skeletons » commence en douceur et se traîne très agréablement pendant ses quatre minutes.
« Dull life » est sans l’ombre d’un doute l’un des meilleurs titres du groupe, en tout cas mon préféré au moment où j’écris. La folie, la puissance, la vitalité de la composition et du chant est grandiose. Et la production, ici comme sur tout l’album, est en parfait accord avec le nouveau son des Yeah Yeah Yeahs, qui s’ouvrent la porte des années ’10 de la plus belle des manières.
« Shame and fortune » est sympa mais est un peu plus faible que le reste de l’album. « Runaway » est également un incontournable : la musique est envoûtée mais maîtrisée, la voix pinçante mais pas criante, et même presque caressante. Du rock qui berce. « Dragon queen » est un nouveau titre super sympa, bien qu’il ne fasse pas partie de ces morceaux inoubliables, d’ailleurs ce titre souffre peut-être d’être perdu au milieu de petites bombes pop-punk, telles « Hysteric » qui est encore un mélange de légèreté et d’envolées très suaves.
En conclusion, « Little shadow », qui est effectivement le meilleur titre ici pour donner la note finale à une œuvre qui réussit à confirmer tout le talent qu’on avait déjà su déceler chez Karen O, Brian Chase et Nick Zinner. Malgré tout, peu de monde s’attendait à ce genre d’album.
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Je passe le début de Mosquito et arrive directement au cinquième titre, « Slave », qui est tout à fait le genre de morceaux pour lesquels les Yeah Yeah Yeahs ont (trans)percé en 2003 : une voix inimitable, celle de Karen O, une guitare omniprésente, un genre dès lors le leur et qui fait des étincelles sur scène.
À l’inverse, « These paths » est tout en douceur, mais les détracteurs de l’évolution soi-disant électronique ou 80’s du groupe s’en donneront forcément ici à cœur joie, alors même que je suis de mon côté mille fois preneur de ce genre de composition, tout en contraste avec le cliché des YYYs que l’on voudrait nous imposer. De même, plus loin, pour « Always ».
Pour se faire une vraie nouveauté, il n’y a que « Buried alive » qui en propose réellement. Seul titre à n’être produit ni par l’Anglais Nick Launey ni par Dave Sitek (TV On The Radio) mais par la paire Sam Spiegel/James Murphy (LCD Soundsystem) et à incorporer une nouvelle voix, sous forme de duo, celle du rappeur Dr. Octagon (également connu sous le nom de Kool Keith) : c’est très intéressant, véritablement efficace, mais est-ce vraiment une collaboration judicieusement placée, à ce moment de l’album ? Je l’aurais plutôt laissée en bout d’album (oui, je sais ce que ça pourrait signifier).
Avec « Wedding song », la fin est parfaite. Délicate, puis envolée pour un final presque émouvant, comme s’il s’était agi d’un film ou un roman.
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À ma découverte tout début juin du clip de « Spitting off the edge of the world », en duo avec Perfume Genius (dont le nouvel album va également arriver cette année – son sixième), ma hâte de me plonger entièrement dans Cool It Down – avec sa pochette magnifique – est déjà immense. Vivement les retrouvailles !
(in Heepro Music, le 07/06/2022)
éé