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Asya Djoulaït : Noire précieuse

Par Gangoueus @lareus
Asya Djoulaït : Noire précieuse

Parfois c'est la curiosité qui me pousse à m'attaquer à un livre. Ici, une jeune auteure franco-algérienne publie un roman au titre interpellant Noire précieuse dans la collection Continents noirs de Gallimard.

Au coeur de Château d'eau, à Paris

J'ai donc lu ce roman dans lequel Asya Djoulaït rajoute de la complexité à son projet puisque le contexte de son roman se situe à Château d'eau, un quartier de Paris où pullulent des commerces exotiques dédiés à l'entretien des cheveux et de la peau. Pour le dernier point, on parlera plutôt de décapage de la peau, de  blanchiment. Oumou tient plusieurs commerces, elle vit du tchatcholi. Elle vient de Côte d'Ivoire. Elle a une fille unique qui a une dizaine d’années au moment où commence la narration. Elle est née en France. La petite fille Céleste est ingénue, elle se pose des questions. Dans la structure monoparentale qu’est le foyer de sa mère, Céleste se construit. A partir des contradictions de sa mère. Cette dernière use et abuse du nouchi pour penser son monde et communiquer avec Céleste. C’est sur ce point que je trouve que la démarche d’Asya Djoulaït est téméraire. La plupart des dialogues de ce roman son construit autour de cette langue. 

Nouchi, le défi

On découvre donc au travers des yeux de  Céleste qui grandit au fur et à mesure Château d'eau, la communauté ivoirienne, l'histoire sentimentale d' Oumou, sa migration en France. L'échec de l'intégration de sa sœur en Hexagone ou celui du boza d'un autre personnage rappelle que les gens y survivent en Côte d'Ivoire. Le nouchi est la langue des dialogues. Systématiquement. Ce qui m'a posé un petit problème, c’est l’usage répété de ce nouchi. En effet pour avoir vécu en Côte d’Ivoire, il y a trois langues de communication entre les populations. Le français, le nouchi (dans un contexte à définir, plutôt populaire, étudiants, jeunesse), le diouila (dans un contexte de commerce). Le français « ivoirien » a une particularité avec les articles personnels et impersonnels « aspirés ». Même si on peut imaginer une homogénéité de la communauté ivoirienne de Château d’eau, j’ai eu beaucoup de mal avec cette langue frisant avec le petit-nègre. Frisant seulement. Parce qu’on sent que Adya Djoulaït a appris le vocabulaire du nouchi et elle nourrit les dialogues d’expressions savoureuses. Je tiens souligner que j'ai déjà fait l'expérience du pidgin en littérature africaine avec le camfranglais et le pidgin camerounais de Patrice Nganang ou le nouchi de Yaya Diomandé dans son roman Abobo Marley.

La construction d’une française afrodescendante

Céleste est confrontée assez rapidement à cette confrontation à la question du derme, avant celle de la race. Et pour cause : « Depuis sa naissance, Céleste avait été nimbée, Céleste avait été nimbée d’amour et de lumière. Elle avait  pris forme  dans la chaleur d’une mère que tout le quartier appelait la «  femme-feu » ».  Une expression ivoirienne pour signifier la dépigmentation accentuée de la peau. Le parent aimant a un problème avec sa peau au point de se « maquiller » (expression congolaise) et avoir ce teint couleur de feu…
« - Tu mets le tchacholi, maman ?   - Jamais dêh ! Bon… Moi yé  mets  pommade pour avoir un joli teint, bien uniforme. Yé dit »  (p.20)

C’est aussi une question olfactive. Céleste grandi avec cette odeur si caractéristique de ces produits. Sa mère l’embrassant tendrement chaque soir avec ce parfum…
« Comme toujours avant de dormir, Oumou déposa sur le front de sa fille le baiser habituellement rassurant. Si proche de la peau de sa mère, Céleste redécouvrait cette odeur familière qui avait embaumé son enfance. Elle avait toujours pensé que ce parfum était celui des dames, des grandes dames même puisqu’elle ne se souvenait pas de l’avoir senti ailleurs. Mais ce soir-là les effluves  avaient l’aspect de matière coagulée. »  (p.26)
"Noire précieuse", telle qu'Oumou appelle sa fille, grandit et perçoit cette dissonance cognitive qui déconstruit toutes les projections positives qu’exprime la mère à l’endroit de sa fille bien-aimée. Comment lutter contre le racisme que cette dernière va rencontrer dans le grand lycée parisien quand l’espace intime est vérolé par ces considérations. Naturellement, Asya Djoulaït remonte le fil d'Ariane sur les raisons du choix de la mère, elle parle de Babi (1), d’un amour frustrant et destructeur, de la relation entre deux soeurs…

Mon avis 

Je pense qu’en traitant un tel sujet, par un angle aussi subtil, Asya Djoulaït est quelque peu contrainte en tant que postcolonial d'affirmer sa maîtrise parfaite de la communauté ivoirienne sur laquelle, elle choisit de s'exprimer. Parce que le thème est épineux. La question de la dépigmentation  est un héritage délicat de plusieurs siècles de rapports complexes faits de servitude : traite négrière, traite orientale, esclavage, colonisation. De plus, la question du blanchiment de peau est un phénomène global qu’on retrouve en Asie. Mes remarques sur le traitement approprié de la langue s’inscrivent dans cette réserve, puisque Oumou pense en nouchi. Cela pose le problème, au travers de ce pidgin, on a le sentiment d’une pensée approximative. On peut imaginer que la langue première d’Oumou peut-être le bété, le dioula, ou l’agni. J’aime le cheminement par lequel, Asya Djoulaït, elle offre des possibilités de dépassement et de réconciliation avec soi, avec sa mère et avec la Côte d’Ivoire.   
Gangoueus (1) Abidjan. 

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