" Lorsque les allégations ont été faites, lorsqu'elles ont fait le tour du monde, disant aux gens que j'étais un ivrogne menaçant et sous cocaïne, qui battait les femmes, soudainement, dans la cinquantaine, c'est fini. Vous êtes fini. Quelle que soit l'issue de ce procès, à la seconde où ces accusations ont été portées contre moi, et où elles se sont métastasées pour alimenter les médias, j'ai perdu. J'ai perdu, et je porterai cela pour le reste de ma vie. (...) [Amber Heard] a un besoin de conflit, un besoin de violence. Ça sort de nulle part. " (Johnny Depp, le 20 avril 2022).
Très étrange sensation que l'ultramédiatisation du procès entre Johnny Depp et Amber Heard, deux acteurs américains qui rejouent le film "La Guerre des roses" de Danny DeVito (sorti le 4 décembre 1989) avec Michael Douglas et Kathleen Turner. Cette impression est tout à fait surréaliste dans un univers tout à fait étranger où l'on parle en millions de dollars, où l'on parle du énième appartement au bord de la mer, où l'on parle de substances plus ou moins illicites, où l'on parle de violences conjugales plus ou moins avérées, où l'on parle de millions de fans et de millions de détracteurs... En France, on en parlerait même plus que de la campagne des élections législatives (elle a commencé le 30 mai 2022, le sait-on ?) ou même que la guerre en Ukraine et ses épouvantables drames.
Johnny Depp (qui va avoir 59 ans le 9 juin) a tourné dans de nombreux films et a déjà, depuis plus de vingt ans, son étoile au Walk of Fame à Hollywood. L'ancien mari de la Française Vanessa Paradis est notamment le premier rôle dans "Edward aux mains d'argent" de Tim Burton, "Pirates des Caraïbes" de Gore Verbinski, "Charlie et la Chocolaterie" de Tim Burton, etc. Amber Heard (36 ans) s'est fait connaître également par une série télévisée avant d'embrayer au cinéma notamment dans "Délire Express" de David Gordon Green et "Aquaman" de James Wan.
En gros, depuis 2016, le couple qui s'était marié quelques mois auparavant s'est déchiré d'une manière totalement inédite : le public est pris à témoin, les médias se régalent, les réseaux sociaux s'agitent, soutiennent ou fustigent, et dans cette "affaire" (qui est un bien grand mot), les avocats s'enrichissent. Le procès en question est le deuxième ou troisième, et ce n'est pas un procès sur des coups et blessures éventuelles, c'est un procès en diffamation, celui-ci à l'initiative de l'acteur, Johnny Depp, qui a commencé le 11 avril 2022 au tribunal du comté de Fairfax, en Virginie, et qui vient de se terminer ce mercredi 1 er juin 2022 avec un verdict qui a condamné les deux protagonistes, mais plus sévèrement l'ex-épouse que l'ex-époux. En effet, Amber Heard a été condamnée à verser 15 millions de dollars à son ancien mari tandis que Johnny Depp 2 millions de dollars à son ancienne femme.
On s'aperçoit ainsi que tous les faits et gestes de chaque membre du couple ont été enregistrés, notés, mémorisés dès le départ par l'autre, ce qui montre un couple quand même bien étrange et qui fait un étalage de faits quotidiens complètement inintéressants et parfois glauques.
Ce sujet serait dérisoire s'il ne revenait pas sur un sujet essentiel, un double sujet essentiel : d'une part, les violences conjugales, avec les paroles qui se délient sur des drames trop souvent passés sous silence, d'autre part, les réputations salies par des accusations abusives et diffamatoires.
Nous y voilà au nœud du problème : comment peut-on dénoncer des violences réelles sans accuser leurs auteurs ? Dans le cas de ce couple de personnes très célèbres, chaque nouveau fait est mis dans la boîte à buzz. La présomption d'innocence ne suffit pas dans une telle situation, car ce qui fait ou défait les réputations, ce sont les informations publiques (imaginez simplement que vos problèmes de couple, le cas échéant, soient mis sur la place publique et soient légèrement déformés). Or, la possibilité de départager deux antagonistes, c'est le rôle des juges, qui doivent être imperméables à toutes pressions, en particulier médiatiques ici (mais aussi politiques, économiques, etc.), et tout doit rester dans un cadre discret où la rumeur publique ne règne pas.
Aux États-Unis, la situation est simpliste : il faut être pour ou contre. Pour ou contre les femmes dont la parole se libère, pour ou contre l'un ou l'autre des acteurs, pour ou contre le patriarcat (mot typiquement introduit par les féministes qui laisse entendre que la violence conjugale proviendrait du seul fait de l'homme alors que cette violence existe également, de même intensité, dans des couples homosexuels, même de femmes).
Beaucoup de militants anti-féministes (comment les appeler autrement ?) ont soutenu Johnny Depp dans les réseaux sociaux, au point d'en faire une affaire symbolique contre les femmes. En citant en début d'article Johnny Depp et pas Amber Heard, j'ai moi-même, en quelque sorte, choisi aussi mon camp, même si je me moque de cette affaire et qu'elle me dépasse aussi.
Ce qui m'intéresse, en revanche, c'est l'idée qu'on puisse accuser publiquement à tort une personne au point de salir sa réputation. Le "à tort", dans cette phrase, est essentiel et c'est le juge qui le détermine, car a contrario, lorsqu'il y a réellement de la violence, lorsque c'est avéré, je la trouve inacceptable, surtout dans le cadre de relations affectives (a priori, quand on aime, on ne tape pas, on est plutôt en confiance), je souhaite alors que son auteur soit sévèrement sanctionné, condamné tant pénalement que médiatiquement ou, pour des personnes moins célèbres, au moins sanctionnée professionnellement pour qu'il ou elle ne recommence pas.
Et que l'auteur des violences soit une femme ou un homme. Même si la violence des femmes est minoritaire, elle existe et des hommes meurent aussi de violences conjugales (à peu près dans la proportion d'un homme pour trois femmes). J'ai connu une femme violente qui menaçait d'un couteau à la gorge son "mec" (pour une raison que je n'ai pas saisie) et son enfant de 8 ans avait fermé à clef la porte d'entrée de l'appartement. Pour sortir de ce piège, j'ai même imaginé me saisir du fer à repasser qui était à ma portée pour l'envoyer sur la femme et libérer son compagnon (mais je n'aurais jamais pu assumer un geste d'une telle violence). Le dialogue a heureusement suffi à apaiser cette situation compliquée mais cette violence était en elle-même insupportable et d'autant plus glauque qu'elle en a rendu son garçon complice.
Les jurés de Fairfax, je le rappelle, n'ont répondu qu'à la problématique de réputation et de diffamation, et ne devaient pas se prononcer sur les gestes de violences plus ou moins avérés sur l'un ou sur l'autre (Johnny Depp a ou aurait été par exemple profondément blessé au majeur de sa main d'un éclat de verre d'une bouteille de vodka lancée sur lui par son ex-épouse).
J'aurais pu citer aussi Amber Heard lors de son audition le 4 mai 2022, très larmoyante : " Je n'oublierai jamais la première fois qu'il m'a frappée (...). Je n'ai pas bougé parce que je ne savais pas quoi faire d'autres (...). Il m'a frappée une nouvelle fois. Violemment. Je perds mon équilibre et je réalise que le pire est en train d'arriver. ".
On serait tenté de croire à une tentative de manipulation et de rendre très intéressant financièrement le divorce quand on entend la réaction d'Amber Heard à l'écoute du verdict, se victimisant et victimisant toutes les femmes : " J'ai le cœur brisé que la montagne de preuves ne soit toujours pas suffisante pour résister au pouvoir, à l'influence et à l'emprise disproportionnée de mon ex-marie (...). C'est un retour en arrière, un retour en arrière à l'époque où une femme qui parlait et s'exprimait pouvait être publiquement blâmée et humiliée. Un retour en arrière à l'époque où la violence contre les femmes n'était pas prise au sérieux. (...) Je suis triste d'avoir perdu cette affaire. Mais je suis encore plus triste d'avoir perdu un droit que je pensais avoir en tant qu'Américaine : parler librement et ouvertement. ".
Même aux États-Unis, on convient que la liberté des uns s'arrête là où celle des autres s'arrête. Durant ce procès, Amber Heard est apparue pour beaucoup comme abusive, menteuse, manipulatrice, violente, presque psychopathe, et surtout, elle n'a apporté aucun élément de preuve de ce qu'elle avait avancé dans ses accusations.
Quant à Johnny Depp, il n'a pas fanfaronné mais il a remercié les jurés et il a remercié tous ceux qui l'ont soutenu malgré les coulées de détritus qui se sont déversés sur lui. Il voudrait que ce verdict soit un encouragement à continuer à résister pour les hommes accusés injustement de violences conjugales.
Au contraire de la France, ce procès pouvait être filmé, ce qu'il a été, et il a été diffusé en direct vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur des chaînes de télévision ou sur Internet. Ainsi, des internautes pouvaient suivre la moindre intervention dans ce procès fleuve. Il fera probablement date comme ayant provoqué cette nouvelle folie médiatique renforcée par Internet, et aussi comme une action corrective de cette nécessaire fin du silence sur les violences aux femmes initiée depuis longtemps mais amplifiée par le mouvement MeToo. Parler, oui, mais dire n'importe quoi sur les autres, non. Dans ce domaine, seul le juge peut faire la part du vrai et du faux. Et certainement pas les voyeurs qui nous sommes tous un petit peu plus ou moins.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01 er juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220601-depp-heard.html
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