extraits :
Substitution au réseau ferré
Aujourd'hui, la composition du train qui arrive est inversée : jeu habituel de la compagnie ferroviaire. On n'a pas de siège réservé aux chaises musicales. Tu dois prononcer tes sept mots, mais pas assise. À la toute fin d'une phrase sans espaces moi le verbe je t'attends toi le sujet. Dans l'intervalle deux accidents se sont déjà produits à l'accusatif : quelque chose a causé un suicide et un dommage à la personne. Un seul mort — mort deux fois. Je n'ai rien contre être un verbe. Veuillez utiliser le bus de substitution au réseau ferré. Substitue-t-il ou déraillé-je ? Parmi les ombres étranges une phrase s'égare dans le réseau de sens et prend en sens inverse le sens du dicible.
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Face à une voyelle claire
Gleich subito je vais vous faire une danse du
Bauch me trémousser près d’une mare
Fraîche où se dresse un
chêne allemand. Je vous écrirai un
Buch livre impie et on me hissera
Hoch sur la potence. Je suis un
Teppich volant voilée d’un
Tuch. Quelle poise : Fuir ? moi, ich ? Connais-tu le pays
CH ?
La lecture des signes saints
c et h reste en suspens
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Place du mot
Le verbe joue le second violon
Quand la mélodie est citée
La dernière note est pour lui
Un jour ordinaire le sujet est devant
Chacun peut commencer mais qui est-ce à la fin
Si un autre est en tête
Le sujet doit aller vers l’arrière
Succession et hiérarchie ce sont deux choses
Le rythme ignore la corruption
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sur le site de l’éditeur :
Composé de cinq parties, Aventures dans la grammaire allemande est le seul recueil poétique de Yoko Tawada. Écrit en langue allemande il est paru en Allemagne en 2010. Bernard Banoun, traducteur de l’autrice depuis 2001, nous en offre une traduction et accompagne son travail d’une postface éclairante sur l’ensemble du texte.
C’est la première section qui donne son titre au recueil, questionnant notre rapport aux langues, leur apprentissage et les liens qui les unissent ou les éloignent. Yoko Tawada y déploie toute sa subtilité et tout son humour habituel. Dans les sections suivantes, l’autrice poursuit ses aventures au-delà des frontières de l’Allemagne, donnant une perspective européenne voire mondiale à ces pérégrinations. Rendant hommage à des figures tutélaires de la poésie, elle combine les systèmes graphiques et s’aventure vers la poésie concrète.
Avec ces poèmes comme des aphorismes, Yoko Tawada illumine le regard que nous portons sur les choses en mettant sa musicalité au service de l’étonnement.
Yoko Tawada vit en Allemagne depuis 1982, et s’est installée à Berlin en 2006. Elle a étudié la littérature à Tokyo à l’université de Waseda d’où elle est originaire, à Hambourg et à Zurich. Elle est l’auteure de pièces de théâtre, poèmes, essais et de nombreux romans dont sept sont traduits aux éditions Verdier. En 2016, elle reçoit le Prix Kleist en Allemagne pour l’ensemble de son œuvre.