Construction intéressante pour ce livre, qui justifie son inscription à la fois dans la rubrique " Anthologie permanente " et dans la rubrique " A livre ouvert ". Il parait dans une nouvelle collection, Centrale / Poésie, confiée à Guillaume Métayer.
Il comporte trois textes d'introduction, un avant-propos d'Anne Tüskés, un court essai de Guillaume Métayer, " l'existentialisme imaginaire d'Ágnes Nemes Nagy et une préface de Kristina Toth.
Une importante section est ensuite consacrée à des " poèmes publiés antérieurement ou retrouvés dans les papiers d'Ágnes Nemes Nagy, parfois dans plusieurs traductions (et certains traducteurs nous sont bien connus, nous allons le voir !) et enfin une section avec un choix de poèmes traduits par Guillaume Métayer.
1. Extraits
2. Le livre
3. Les traducteurs
4. Ágnes Nemes Nagy,
5. La collection Centrale / Poésie
1. Extraits avec 3 traductions et l'original du poème " Arbres "
ARBRES
Il faut apprendre. Les arbres de l'hiver.
Gelés jusqu'aux racines.
Roides rideaux.
Il faut apprendre cette raie
où le cristal se fait buée
où l'arbre est à l'instant de devenir brouillard
comme le corps un souvenir.
Et le fleuve au-delà des arbres,
le vol silencieux des canards sauvages,
la nuit bleue, son aveugle blancheur,
la nuit pleine d'objets masqués.
Il faut apprendre ici les actes
indicibles des arbres.
ARBRES
Il sied d'apprendre. Comment les arbres,
l'hiver, s'engivrent de pied en arbre.
Rideaux dont nul pan ne remue.
Et d'apprendre la zone candide,
où le cristal déjà s'embue,
où l'arbre en la neige s'évade,
tout comme un corps dans le souvenir.
Et l'eau delà les pins qui passe,
le dur canard au vol de sable,
le lait trouble d'une nuit bleue,
où les choses se drapent de marbre.
Oui d'apprendre combien les jeux
nus des arbres sont ineffables.
(Adaptation de Guy de Bosschère)
ARBRES
Il faut étudier. Les arbres de l'hiver.
Comme jusqu'au tarse ils se glacent.
Des tentures, inamovibles.
Il faut étudier ces rangées
où fume déjà le cristal,
où l'arbre nage à travers brume,
comme le corps dans la mémoire.
Et le fleuve au-delà des arbres,
les ailes sans voix des colverts,
et la nuit bleue, blanche, aveuglante
hérissée d'objets cagoulés,
il faut apprendre ici des arbres
les actes incommunicables.
Fák
Tanulni kell. A téli fákat.
Ahogyan talpig zúzmarásak.
Mozdíthatatlan függönyök.
Meg kell tanulni azt a sávot,
hol a kristály már füstölög,
és ködbe úszik át a fa,
akár a test emlékezetbe.
És a folyót a fák mögött,
vadkacsa néma szárnyait,
a vakfehér, kék éjszakát,
amelyben csuklyás tárgyak állnak,
meg kell tanulni itt a fák
kimondhatatlan tetteit.
Ágnes Nemes Nagy, Les Chevaux et les anges, anthologie poétique 1931-1991, établie sous la direction d'Anna Tüskés avec le concours de Guillaume Métayer, Rumeurs éditions, 2022, 288 p., 18€
2. Le livre
Ágnes Nemes Nagy (1922-1991), l'une des plus grandes voix de la poésie hongroise de l'après-guerre, source d'inspiration de générations de poètes, n'avait jamais bénéficié d'un recueil entier en français. La jeune chercheuse Anna Tüskés a réuni de nombreuses traductions introuvables, dont cinq traductions inédites de Bernard Noël, et d'autres testes disséminés en revue ou jamais publiés dus à Guillevic, Pierre Emmanuel, Bernard Vargaftig, et bien d'autres poètes encore. S'y ajoutent près d'une trentaine de poèmes nouvellement retraduits pour cette édition par Guillaume Métayer. La préface est due à la grande poétesse et romancière contemporaine Krisztina Tóth. Un hommage éclatant à Ágnes Nemes Nagy, poète de l'exploration intime et de la résistance intérieure pendant les années sombres, l'année de son centenaire. " Les origines de cette anthologie remonte à 1968, lorsque Péter Balabán, éditeur en chef chargé du domaine étranger aux éditions Corvina (Budapest), encouragé par le secrétaire du PEN club hongrois György Timár, écrivit au poète et écrivain français Paul Chaulot à propos d'un recueil français de poèmes d'Ágnes Nemes Nagy. Chaulot ayant déjà à cette époque adapté un certain nombre de poèmes de Nemes Nagy en français. [...] Toute une parie de ces traductions a déjà paru dans diverses revues et anthologies où elles étaient disséminées. Une autre partie, conservée dans le domaine privée d'Ágnes Nemes Nagy, est ici publiée pour la première fois. Enfin, la troisième partie de ces traductions, due à Guillaume Métayer, a été préparée spécialement pour cette édition. " (extrait de l'avant-propos d'Anna Tüskés)
3. Les traducteurs
Paul Chaulot, Magda Csécsy, Anne-Marie de Backer,, Guy de Bosschère, Pierre della Faille, André Doms, Pierre Emmanuel, Anikó Fázsy, Guillevic, Georges Kornheiser, Jean Lescure, Marie-Chantal Manset, Guillaume Métayer, Jean-Luc Moreau, Bernard Noël, Claude Roy, Gyula Sipos, György Timdr, Judith Tóth, Bernard Vargaftig, Isabelle Vital
4. Ágnes Nemes Nagy
Ágnes Nemes Nagy (1922-1991), l'une des plus grandes voix de la poésie hongroise de l'après-guerre, source d'inspiration de générations de poètes, n'avait jamais bénéficié d'un recueil entier en français. La jeune chercheuse Anna Tüskés a réuni de nombreuses traductions introuvables, dont cinq traductions inédites de Bernard Noël, et d'autres textes disséminés en revue ou jamais publiés dus à Guillevic, Pierre Emmanuel, Bernard Vargaftig, et bien d'autres poètes encore. S'y ajoutent près d'une trentaine de poèmes nouvellement retraduits pour cette édition par Guillaume Métayer. La préface est due à la grande poétesse et romancière contemporaine Krisztina Tóth. Un hommage éclatant à Ágnes Nemes Nagy, poète de l'exploration intime et de la résistance intérieure pendant les années sombres, l'année de son centenaire. (site de l'éditeur)
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Ágnes Nemes Nagy (1922-1991) est l'une des grandes figures de la poésie hongroise des décennies de l'après-guerre. Avec son mari Balázs Lengyel, elle fonda la revue Újhold (" Nouvelle lune "), bientôt interdite, qui accueillit János Pilinszky, Iván Mándy, Géza Ottlik ou Sándor Weöres et resta comme un modèle de hauteur littéraire et d'éthique politique dans ces temps troublés. Ágnes Nemes Nagy, qui publia des poèmes dès 1945, fit paraître peu de recueils de son vivant, sous l'effet de la censure politique comme par exigence personnelle mais beaucoup de ses textes ont été redécouverts récemment. Également l'une des grandes références hongroises dans le genre de l'essai, elle fut aussi traductrice littéraire, surtout du français, portant en hongrois, entre autres, des pièces de Corneille, Racine et Molière, des poèmes de Victor Hugo, Saint-John Perse et de ses contemporains, mais aussi de l'allemand, traduisant Rilke, Dürrenmatt ou Brecht. Figure morale, Juste parmi les Nations, c'est une voix qui n'a cessé de marquer et inspirer les générations des poètes hongrois jusqu'à nos jours. (source)
5. La collection
Collection Centrale /Poésie, dirigée par Guillaume Métayer.
Centrale, dit que la poésie est centrale et sans cesse remise au centre d'une Europe en partage.
Centrale, comme cette Europe du centre qui nous échappe, dans la pluralité de ses langues, l'enchevêtrement des territoires, la complexité des histoires.
Centrale, à la façon d'une gare capitale, ouverte à mille départs, mille distances abolies et mille découvertes.
Telle se veut cette collection de poésie centre-européenne, à la cartographie ouverte dans l'espace et dans le temps : voix nouvelles, classiques retrouvés, jouvence des retraductions, comme autant de décentrements, jalons de futurs équilibres.
A signaler dans la même collection
Grzegorz Kwiatkowski, Joies, édition bilingue polonais-français. Poèmes traduits du polonais par Zbigniew Naliwajek. Préface de Claude Mouchard.